Chroniques

par laurent bergnach

création de Metanoïa de Sina Fallahzadeh
L’Itinéraire joue Romitelli, Saariaho et Tenney

ManiFeste / Centre Pompidou, Paris
- 12 juin 2019
L’Itinéraire joue Romitelli, Saariaho, Tenney, et une création de Fallahzadeh
© sinafallahzadeh.mystrikingly.com

Partageant un souvenir de 1973, Gérard Grisey écrit : « …Dans le jardin de la Villa Médicis, Tristan Murail m’annonce que dès son retour à Paris, il entend fonder un collectif de musiciens qui assureraient la création et la promotion de la musique de notre génération et des suivantes » (in Écrits ou L’invention de la musique spectrale, MF, 2008) [lire notre critique de l’ouvrage]. Plus ancienne que l’Ensemble Intercontemporain (1976), cette formation poursuit son but depuis plus de quarante-cinq ans, faisant honte au critique qui lui avait prédit une absence d’impact historique. Qui d’autre accoucha d’autant de pièces signées Dufourt, Levinas, Tessier, etc., et associa son nom au courant spectral, comme c’est encore le cas ce soir ?

Inspirée par les poèmes de Saint-John Perse évoquant les oiseaux, Kaija Saariaho (née en 1952) composa nombre de pièces : Laconisme de l’aile (1982), Aile du Songe (2001) et, découlant directement du deuxième mouvement de ce concerto avec orchestre sans vents, Terrestre (2003). La flûte y est à l’honneur. Ici volubile, elle entraîne les compagnons d’un ensemble réduit (violon, violoncelle, harpe, percussion) dans un moment nerveux mais toujours clair et léger. Sa virtuosité est discrète, sans affectation. Un coup de cloche-tube et un éclairage bleuté mettent un terme à Oiseau dansant et ouvrent une séquence nocturne, L’oiseau, un satellite infime. Le souffle passant dans la flûte, le scintillement percussif plongent le public dans un climat presque onirique, avec la maîtrise que l’on connaît à la compositrice.

Après la plus française des Finlandaises, accueillons Sina Fallahzadeh (né en 1981) [photo], natif de Téhéran aux ambitions affichées : explorer les réalités invisibles à la croisée de l’esprit et de la perception avec, si nécessaire, l’élimination des limites spatio-temporelles. La création de Metanoïa, ce soir, en donne un aperçu par son titre – tout à la fois changement de vision, renversement de la pensée, etc. – comme par la place donnée à l’électronique. Récurrents et souvent solitaires, des halos proviennent de colonnes de haut-parleurs torsadées, issus des recherches de Marco Stroppa sur l’électronique chambriste. Mis à part les ultimes minutes, nous ne garderons pas un souvenir pérenne de ce moment inspiré par l’épopée de Gilgamesh, truffé de plaintes de Mathieu Dubroca (baryton) et des huit instrumentistes.

Il y a près d’un quart de siècle, à quelques mètres du Centre Pompidou, Fausto Romitelli (1963-2004) faisait créer EnTrance (1996) avec cette précision : « on cherchera en vain dans cette pièce élégance et harmonie de proportions, équilibre formel et transformations graduelles et linéaires ». De l’Italien, on connaît l’intérêt pour le corps soumis à des influences telles que la drogue (Professor Bad Trip) [lire notre critique du CD] ou l’hyperventilation invitées lors de divers rites. Ici, le soprano Élise Chauvin [lire nos chroniques du 19 novembre 2018 et du 16 février 2019] inspire et expire ostensiblement en délivrant un mantra tiré du Livre des morts tibétain. Souvent jouée et commentée [lire notre chronique du 11 septembre 2005 et notre critique de l’ouvrage Le corps électrique], EnTrance réjouit toujours autant par son énergie et ses contrastes dynamiques.

Pour finir ce programme sans entracte, Mathieu Romano pose la baguette, permettant à quelques musiciens d’essaimer dans l’espace public du Forum. Disposés sur plusieurs niveaux, ils y donnent In a large, open space (1994), conçu durant une résidence berlinoise par le Nord-Américain James Tenney (1934-2006), volontiers porteur de l’héritage de Varèse, Ives et Cage. Durant une vingtaine de minutes, spectateurs et instrumentistes sont invités à se rapprocher de la sortie, à l’étage supérieur, goûtant l’œuvre à son gré, dans un espace étendu à l’acoustique plurielle.

LB