Chroniques

par laurent bergnach

création de Kaleidoscopic memories de Beat Furrer
Neue Vocalsolisten Stuttgart, Klanforum Wien

Matteo Cesari joue Salvatore Sciarrino
ManiFeste / Centre Pompidou, Paris
- 8 juin 2016
le flûtiste Matteo Cesari  joue Salvatore Sciarrino au festival ManiFeste 2016
© dr

Apparu dans une Italie en lutte contre l’impérialisme américain, l’Arte Povera est l’objet d’une rétrospective pompidolienne, du 8 juin au 29 août prochain. Essentiellement visuel, ce courant d’après-guerre se distingue par la simplicité des matériaux utilisés – sacs en plastique remplis d’argile (Merz), plumes de dinde (Pascali), etc. –, trouvant son équivalent sonore chez certains compositeurs qui souhaitent « réduire le plein, susciter la lacune, voire une nudité quand ce n’est pas l’absence », dixit Laurent Feneyrou (in Code couleur n°25). Furrer et Sciarrino sont incontournables dans une édition ManiFeste qui se veut écho de l’exposition – de même que Partch, inventeur d’instruments réunis dans Delusion of the fury [lire notre chronique du 28 mars 2014].

Du créateur de Fama (né en 1954) [lire notre chronique du 31 mai 2006], nous entendons trois pièces en première partie de programme, dont la création de Kaleidoscopic memories, pour contrebasse et électronique (Alexis Baskind, concepteur Ircam). Tandis qu’Uli Fussenegger explore la possibilité de changements rapides de perspective pour interpoler différentes sonorités les unes dans les autres, l’électronique préenregistrée l’aide à pénétrer d’autres espaces. Virtuose sans tutoyer l’expressionnisme, cette page laisse entendre bourdonnements agacés, crissements et craquements de cordes, mais aussi quelques plaintes granuleuses.

On retrouve le contrebassiste dans lotófagos I (Berlin, 2007), accompagné du soprano Johanna Zimmer qui intervient d’abord dans un pépiement verbal (texte de l’Espagnol José Ángel Valente), puis entre la plainte et la prière. Dans cette pièce conçue peu après auf tönernen füssen (2001) [lire notre critique du CD], Beat Furrer sublime à nouveau la voix humaine, au décryptage de laquelle sont attachés « les mécanismes les plus fins de notre écoute […] En explorant les qualités intimes de ce son, on découvre autant d’informations sur nos perceptions que sur le locuteur » (brochure de salle).

Comparable à l’archéologue, ce compositeur travaille avec des éléments superposés, mis en avant ou cachés. En témoigne Spur (Vienne, 1998), superposant des trajets simultanés qui se recouvrent et se filtrent mutuellement. Accompagnées par le piano largement volubile de Joonas Ahonen (exploration du médium, des extrêmes, des cordes pour finir), un quatuor se manifeste avec un grand relief tout d’abord, du fait de voix bien différenciées. Mais un unisson de pizz’ peut tout aussi bien les réunir, de la même façon qu’alternent fébrilité et tendresse. Tout du long, de micro-interruptions produisent une tension, participant à l’équilibre fragile entre statisme et dynamisme.

Venu des arts visuel avant d’aborder la musique en autodidacte [lire notre critique de l’ouvrage Silences de l’oracle], Salvatore Sciarrino a offert à la flûte nombre d’opus depuis 1977. Auteur d’une thèse sur l’interprétation du temps dans L’orologio di Bergson (Sciarrino) et Carceri d’Invenzione IIb (Ferneyhough), Mattei Cesari en a gravé une intégrale dont sont extraits ce soir Immagine Fenicia (Genève, 2002), Come vengono prodotti gli incantesimi ? (Milan, 1985) et Morte Tamburo (Strasbourg, 2000). Un interprète se doit d’avoir du souffle pour rendre ces pièces contrastées, entre énergie (fulgurances, hilarité, percussion, etc.) et confins du silence !

Applaudi à juste titre, Cesari a su convaincre, avant l’installation des onze instrumentistes de l’ensemble Klangforum Wien (flûtes, clarinettes basses, trombones, violoncelles, percussion et piano), de son fondateur Beat Furrer et de six membres des Neue Vocalisten Stuttgart. Principalement inspiré par un texte de Towitara Buyoyu – un maître sculpteur de proues et son élève, leurs reflets dans l’eau, la force du rêve, etc. –, Carnaval (Sienne, 2015) est un cycle de « madrigaux concertants » qui favorisent le frémissement, la langueur, un jeu de ping-pong vocal, le tout dans un dépouillement qui rappelle assez Luci mie traditrici [lire notre critique du DVD]. Placée sous le signe de l’harmonie esthétique, cette soirée renaîtra sur les ondes de France Musique, le 13 juin prochain.

LB