Chroniques

par gilles charlassier

création de Dolce volcano de Philippe Schœller
récital Maude Gratton (clavecin) et Florent Jodelet (percussion)

œuvres de Bull, Couperin, Durieux, Harvey, Ligeti et Mâche
Festival de Saintes / Gallia Théâtre
- 16 juillet 2018
Maude Gratton et Florent Jodelet, entre musique baroque et contemporaine
© marjorie jalladot

Après qu’on ait été bercé de mélodies anglaises [lire notre chronique du jour], c'est une formation peu commune que Maude Gratton et Florent Jodelet proposent au Gallia Théâtre : clavecin et percussions, dans une mise en espace lumineuse habile qu'il aurait été délicat de présenter à l'Abbaye aux dames sans obérer l'enchaînement des concerts. Bien qu'associé à la musique ancienne, le clavecin n’est pas ignoré par la création contemporaine qui le redécouvrit dans la seconde moitié du XXe siècle. Avec de discrets allers-retours entre les époques, le spicilège concocté par le duo français restitue les ressources inattendues de cet instrument à cordes pincées, tutoyant parfois le registre percussif.

Un Prélude non mesuré de Couperin introduit la première pièce de François-Bernard Mâche, Anaphores (1981). Généreusement développée sans jamais céder à la redondance ni aux longueurs, cette série de variations sur une cellule thématique simple et captivante permute les qualités instrumentales avec autant d'intelligence technique que de poésie, entre la scansion du clavecin et les camaïeux percussifs. On reconnaît une authentique rhétorique, jamais vaine ni narcissique, portée avec sensibilité par les interprètes.

Adapté pour cloches tubulaires et électronique, Ricercare una melodia (1984) de Jonathan Harvey distille une atmosphère délicate où le foisonnement de la trame se fait le support de la lumière singulière de cette pièce qui ne l'est pas moins, conjuguant précision des attaques et halo liant le discours comme dans un effet de rubato. Un prélude de John Bull, compositeur flamand du XVIIe siècle, précède un autre regard sur ce travail de canevas harmonique et rythmique, sans se figer dans le pastiche : la Passacaglia ungherese (1978) de György Ligeti excelle dans cet art de la réécriture inventive de formes passées, que Maude Gratton détaille avec un soin jubilatoire. Marges I (1989) de Frédéric Durieux ne manque pas de fantaisie ludique, au gré de ses quatre parties contrastées. Un autre Prélude non mesuré de Couperin sert d'intermède avant une seconde page de Mâche, Korwar (1972), utilisant l'expérimentation et les rumeurs de fonds marins et de cétacés sur bande magnétique pour une immersion hypnotique à vocation écologique. Le propos se renouvelle moins que dans la partition magistrale du début de soirée, et ne peut compter sur une mise en espace acoustique sans reproche.

En clôture, Philippe Schœller décrit brièvement la commande qu'il reçut du Festival de Saintes. Il l’intitule – semble-t-il en direct – Dolce volcano. Sur un rougeoiement en toile de fond, sans doute en guise de lave qui poindrait comme un bouton prêt à éclore, le clavecin et les pupitres percussifs déploient une matière souple, ondoyante, qui se nourrit et s'amplifie progressivement au bord de l'explosion. L'évidence de la séduction des textures et des timbres – les pépiements de métal – ne compense pas entièrement une forme parfois un peu relâchée. On ne manquera pas néanmoins de saluer l'initiative du festival et son attention à la musique de notre temps, que le présent programme sort intelligemment du ghetto où certains la confinent.

GC