Chroniques

par hervé könig

création d’Im Auge des Klangs de Carola Bauckholt
deux opus de Bernd Alois Zimmermann

WDR Sinfonieorchester, Emilio Pomàrico
Philharmonie, Cologne
- 5 mai 2018
à Cologne, création mondiale de "Im Auge des Klangs" de Carola Bauckholt
© morton lindberg

Après la belle exécution des Soldats, à la Staatenhaus am Rheinpark où s’est momentanément exilée l’Opernhaus de Cologne [lire notre chronique de l’avant-veille], si grande était l’envie de prolonger l’immersion dans le centenaire du compositeur que nous sommes finalement restés pour assister au treizième concert du grand cycle d’hommages que lui consacre la Kölner Philharmonie. Au programme, deux œuvres de Bernd Alois Zimmermann, dont la Vokalsinfonie extraite de l’opéra, et une création mondiale d’une pièce commandée à Carola Bauckholt par le Westdeutschen Rundfunk Sinfonieorchester.

Au moment où il commence à se pencher activement sur Die Soldaten, la pièce de Lenz (1776), Zimmermann écrit la Sinfonie in einem Satz (Symphonie en un mouvement). Bien qu’il appuie encore ce nouvel opus sur la technique sérielle, il ne s’en tient plus désormais aux seules influences des Viennois ou des continuateurs qui sont ses contemporains : après le premier accord, apocalyptique, on entend clairement une expressivité héritée d’Hartmann, voire de Chostakovitch (notamment de la Symphonie en ut majeur Op.65 n°7 « Leningrad », avec son martèlement typique). À la tête du WDR Sinfonieorchester, Emilio Pomàrico, qu’un collègue applaudissait ce week-end à Witten [lire nos chroniques des 27 et 28 avril 2018], livre une interprétation puissante de cette page contrastée. Passés la surprise du rendu des salves de cuivres et des robustes percussions, dans l’excellente acoustique de la Kölner Philharmonie (vraiment incomparable) puis l’élan tragique, terrible même, une passacaille webernienne conjugue son dépouillement à des cordes dont la couleur rappelle Ives. Cette œuvre très dense reflète les angoisses de l’après-guerre, la montée de la Guerre froide, l’épouvantail d’une destruction atomique. La version jouée ce soir fut créée à Bruxelles à l’automne 1953 (Orchestre national de la Radiotélévision Belge, sous la direction du compositeur Daniel Sternefeld), mais avant cette révision, le premier essai avait été donné par l’orchestre que nous entendons qui l’avait commandé.

Les cuivres et les percussions amorcent ensuite Im Auge des Klangs (Dans l’œil du son) de Carola Bauckholt. Née à Krefeld, la compositrice fit ses classes à Cologne où elle a fondé un ensemble instrumental et une maison d’édition musicale. Aujourd’hui, elle enseigne elle-même, dans plusieurs institutions (Linz, Berlin, Detmold, etc.). En 1987, la ville de Cologne lui décernait le Prix Zimmermann. Des jeux d’échos et de simulacres sonores caractérisent sa nouvelle œuvre, traversée d’une inventivité sans cesse en marche. Les dix premières minutes avancent dans une épaisseur jamais lourde, puis arrive un moment plus délicat, avec des échanges de timbres et d’échos qui pourraient défier la perception (entre le geste des instrumentistes que l’on voit, le son produit et son voyage dans l’espace du concert). Des appels de cuivres se superposent à des notes répétées en arythmies par les vents, ce qui décuple un effet profond de perspective.

Le 23 mai 1963, à la tête du Kölner Rundfunk Sinfonieorchester, Jan Krenz donnait naissance à la Symphonie vocale tirée de Die Soldaten, opéra qui ne verrait le jour que deux ans plus tard. Il s’agissait pourtant d’une première incomplète, puisque n’y furent joués que les deuxième, troisième, quatrième et sixième mouvements. La véritable création eut donc lieu le 4 janvier 1974 au Casino de Bâle par le Sinfonieorchester Basel dirigé par Hans Zender. Ce soir, tout y est, personne n’est privé de l’explosif Preludio. Après l’entracte, nous entendons cette partition spectaculaire dont une partie des percussions investit le haut des gradins. La précision d’Emilio Pomàrico – l’un des meilleurs chefs actuels pour la musique de notre temps, c’est indéniable – et l’excellence des musiciens du WDR Sinfonieorchester propulsent immédiatement très loin de l’exécution approximative entendue à Paris, au festival Présences [lire notre chronique du 14 février 2014] ! On retrouve les passages du premier acte de l’opéra dans les échanges magnifiquement réalisés par le soprano Allison Bell, le ténor très lyrique de Peter Tantsits et la basse efficace d’Otto Katzameier. Un embryon de théâtralisation gagne même le plateau. La souplesse et la subtilité de l’orchestre rendent à César la délicatesse qui lui manquait hier. L’alternance de la musique de chambre et du gigantisme tonitruant est impressionnante, même après avoir vu deux fois l’opéra au complet. La vaillance de Peter Tantsits est sans conteste un des points les plus positifs de cette version. Le timbre riche et chaud du mezzo-soprano Anna Radziejewska est parfait dans la dernière partie, ainsi que le profond contralto de Bettina Ranch dans le Choral. Avec le final bouleversant du baryton Hans Christoph Begemann, le cast s’enrichit encore d’une voix idéalement choisie. Le public accueille très favorablement Die Soldaten, Vokalsinfonie für 6 Gesangs-Solisten und Orchester qui n’est plus aujourd’hui objet de scandale… à cinquante-cinq ans !

HK