Chroniques

par arvid oxenstierna

création allemande de Sull’essere angeli de Filidei
Katrien Baerts, Mario Caroli, Kora Pavelić,

WDR Sinfonieorchester, Sylvain Cambreling
Philharmonie / Alfried Krupp Saal, Essen
- 27 octobre 2019
création allemande de "Sull’essere angeli" de Francesco Filidei
© kai bienert

Soirée contemporaine, ce dimanche à la Philharmonie d’Essen, où le Westdeutscher Rundfunk Sinfonieorchester donne un programme latin, comprenant deux œuvres italiennes et une française. Sylvain Cambreling commence par la plus ancienne, Aura pour grand orchestre, composé en 1972 par Bruno Maderna (1920-1973) et créé par le Vénitien en personne à la tête du Chicago Symphony Orchestra au printemps de la même année. Décédé à l’âge de cinquante-trois ans, Maderna a cependant laissé un catalogue imposant, doté de près d’une centaine d’opus [lire nos chroniques de Journal vénitien, Concerto pour violon, Giardino religioso, Hyperion, Orfeo, Concerto pour piano, Ausstrahlung et Satyricon] parmi lesquels Aura est l’un des plus souvent joués – avec Quadrivium (1969), Grande Aulodia (1970), Biogramma (1972) et les trois concerti pour hautbois (1962, 1967 et 1973). Un dispositif d’écriture particulier le situe dans un aléatoire relatif. Sous la baguette de Cambreling, les cordes sont marquées par un lyrisme direct, au contraire des énergiques salves de cuivres. Ce vaste mouvement d’une vingtaine de minutes est conclu par un solo de flûte qui s’éteint peu à peu, jusqu’au silence.

Donné en première allemande avant-hier par les mêmes artistes à Cologne, Sull’essere angeli (2016-17) de Francesco Filidei (né en 1973) fut enregistré par le flûtiste Mario Caroli, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo placé sous la direction de Pierre-André Valade [lire notre critique du CD]. Ce soir, le grand soliste international débute la pièce dans un souffle accompagné du sifflement très léger d’un accordéon, dans un phrasé mystérieux auquel les timbales donnent un relief spécial. L’ange foudroyé du titre est une jeune photographe nord-américaine, Francesca Woodman, qui, le 19 janvier 1981, s’est jetée par la fenêtre de son domicile new-yorkais. À une partie soliste très présente répond un saupoudrage orchestral subtil qui recours à des effets bruitistes, dans les cordes et aux percussions. La précision des pupitres du WDR Sinfonieorchester est un atout de taille. Un horizon serein, plutôt étonnant, survient tel un envol dans un foisonnement de sons qui résiste à la description littéraire. Passée ce passage lent et délicat, une montée s’amorce, de plus en plus puissante, qui mène à une scansion ferme puis à une espèce de suspension du geste dans un miroitement idéal constitué par des motifs répétés à tous les niveaux de l’orchestre. Contrebasse solo, cloches, accordéon et caisse claire tracent avec la flûte un thrène désolé mais sans drame. Sull’essere angeli (De la nature des anges) rend compte de l’inventivité de Filidei [photo], un des compositeurs les plus intéressants du moment [lire nos chroniques d’I funerali dell’anarchico Serantini, Toccata, Giordano Bruno, Dormo molto amore et L’inondation].

« Hommage à Piero della Francesca, pour deux voix de femmes et grand orchestre divisé en deux groupes » écrit par Gérard Grisey (1946-1998) entre 1992 et 1994, L’Icône paradoxale emprunte son titre au poète et essayiste Yves Bonnefoy (1923-2016) et se concentre sur le souvenir de la Madonna del Parto, fresque réalisée aux environs de 1460 par le célèbre peintre (ca. 1412-1792), conservée au musée de Monterchi, petite ville aux confins de la Toscane et de l’Ombrie – une italianité se poursuit donc avec ce thème [lire notre chronique du 5 juin 2008].

« La mise en abîme des sons que je pratique depuis plusieurs années n'est pas sans rapport avec la perspective telle que la redécouvre la peinture renaissante et particulièrement Piero. Outre le nom de Piero della Francesca, le texte utilisé est celui, en italien, de son Perspectiva pingendi. La peinture du Quattrocento, et particulièrement celle de Piero della Francesca, a toujours exercé sur moi une telle fascination que j'ai accompli maints pèlerinages entre Arezzo, Monterchi et Borgo San Sepolcro ; mais ce ne fut qu'en 1988, à la lecture d'une conférence de Thomas Martone sur La Madonna del Parto que me vint l'idée de composer un hommage. Toutefois, cette partition ne fut pas commencée avant 1991. À la fois chrétienne et païenne, ardente et paisible, vierge et déesse matriarcale, archétype de la naissance et de l'interrogation, La Madonna del Parto se lit aussi à la façon des matriochkas, cet autre archétype matriarcal », expliquait l’auteur en vue de la création sous la battue d’Esa-Pekka Salonen à la tête du Los Angeles Philharmonic, le 18 janvier 1996. Le soprano Katrien Baerts et le mezzo-soprano Kora Pavelić animent les ailes des anges autour de la Vierge prégnante, dans une aura de micro-intervalles séduisante. Une méditation presque statique ferme cette grande et belle page.

AO