Chroniques

par isabelle stibbe

Così fan tutte | Ainsi font-elles toutes
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 12 novembre 2008
Così fan tutte version d'Éric Génovèse au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© alvaro yañez

« Così fan tutti », a-t-on envie de dire en découvrant le travail d'Éric Génovèse, tant sa mise en scène sage semble avoir été vue et revue. Pourquoi tant de metteurs en scène cèdent-ils au classicisme ? N'y a-t-il vraiment rien d'autre à tirer de l'opéra de Mozart que les éternelles robes blanches des deux sœurs ou le tricorne de Don Alfonso ? Même la direction d'acteurs est convenue –un comble de la part d'un sociétaire de la Comédie-Française ! – : on a vu mille fois les faux albanais se rouler par terre après l'absorption du poison, ou la ronde des deux jeunes filles au début du premier acte. Nous sont tout de même évités le chapeau pointu du médecin et les interminables toux du notaire – ici remplacées par une envolée de la Reine de la nuit. Malgré quelques jolies scènes dues aux ciels fuligineux, plus trouvailles esthétiques que véritables idées de théâtre, et grâce surtout à un travail raffiné sur les lumières, jouant de clairs-obscurs, on regrette l'absence d'audace, voire les facilités, comme la scène finale qui dévoile le fond de scène. Fallait-il vraiment souligner aussi banalement la perte des illusions par la mise à jour de l'illusion théâtrale ?

À la tête de l'Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi est, plus aventureux –avec toute la part de risque qu'entraîne ce qualificatif. Pourquoi insérer Ah vous dirai-je maman après le Nel mare solca de Don Alfonso ? Est-ce, là aussi, manière d'insister sur la perte de l'innocence ? La partition de l’opéra n'y suffit-elle donc pas ? Quant à la lecture en elle-même, elle pêche par manque d'unité. Non seulement les pupitres jouent trop souvent chacun dans leur coin, mais encore l'orchestre ne s'intéresse-t-il pas beaucoup aux chanteurs qui se trouvent livrés à eux-mêmes. Spinosi tire parfois des bois sensualité et moelleux, mais cela ne saurait faire oublier des cors ingrats et une inspiration inégale.

Le plateau vocal peine à racheter cette production trop appliquée. En dépit de sa musicalité, Veronica Cangemi n'est sans doute pas faite pour le rôle de Fiordiligi dont l'amplitude vocale la met en difficulté. Come scoglio révèle cruellement le manque de sûreté de ses graves. Le mezzo-soprano Rinat Shaham dispose d'un timbre intéressant, ce qui devrait l'inciter à moins « poitriner » pour laisser s'épanouir ses couleurs naturelles. Dommage que son style ne soit pas vraiment mozartien, contrairement à Jaël Azzaretti (Despina), tout à fait à l'aise dans ce type de répertoire.

La distribution masculine est plus convaincante, avec une mention spéciale pour Luca Pisaroni qui compose un Guglielmo musical, sonore et vaillant. Moins expérimenté, le jeune ténor Paolo Fanale (Ferrando) est prometteur par la beauté du timbre. C'est surtout son interprétation qui devra gagner en maturité : son air Un'aura amorosa est habile, d'autant qu'il est chanté piano, mais sent plus l'effet que la sincérité. Enfin, Pietro Spagnoli (Don Alfonso) mène son rôle de manipulateur avec allant. Reste que cette voix trop claire ne parvient pas à convoquer l’une des composantes essentielles de l’ouvrage : l'inquiétude.

C'est le reproche général qu'on peut adresser à cette production : là où l’on attend l'impétuosité du Vésuve (« Nel petto un Vesuvio d'aver mi par… »), la tranquillité d'un lac suisse.

IS