Chroniques

par isabelle Stibbe

Così fan tutte | Ainsi font-elles toutes
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Festival d’Aix-en Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 11 juillet 2008
Cosi fan tutte (Mozart) au Festival d'Aix-en-Provence 2008
© elisabeth carecchio

Pour les soixante ans du festival d’Aix-en-Provence, comment mieux rendre hommage à Gabriel Dussurget qu’en programmant une œuvre emblématique de ses années de légende : Così fan tutte ? Parce qu’on n’a pas connu cette époque, sinon par le disque ou les témoignages, on l’a peut-être mythifiée à outrance. Et on a pensé, un peu naïvement, sans doute, que la nuit tombant sur le Théâtre de l’Archevêché, les ombres des Terasa Stich-Randall ou autres Teresa Berganza allaient se mettre à parler, les sièges de bois vibrer de la même ferveur qui habitait autrefois le festival. On attendait aussi beaucoup du cinéaste iranien Abbas Kiarostami. Parce qu’il n’est ni occidental ni, de son propre aveu, un habitué de l’opéra, on était impatient de découvrir les fruits de son œil neuf.

Il ne faut jamais venir à un spectacle en y mettant trop d’attentes : on est forcément déçu. À qui la faute ? La musique de Mozart est là, sublime, forcément sublime, se prêtant mieux qu’une autre à la nuit étoilée et à la douceur d’Aix-en-Provence. Mais la Camerata de Salzbourg ne sert pas au mieux cette magie. Fluet, mal équilibré, cet orchestre surprend désagréablement par des vents trop sonores, voire faux, et un son acide. À sa tête, Christophe Rousset se montre inégal. Les tempi sont trop rapides ou, à l’inverse, trop lents - notamment le Per pietà de Fiordiligi, si lent qu’on se surprend à bailler. Par bonheur, parfois, quelques fulgurances : ainsi du Soave sia il vento où surgit brusquement une douce nostalgie.

À défaut de ferveur, la fraîcheur est au rendez-vous.
À l’exception de William Shimmel (Don Alfonso), les interprètes sont jeunes, ce qui correspond à l’âge des personnages. Mais – revers de la médaille – les voix sont encore bien vertes. Si elles ont le mérite d’être saines, elles marquent vite leurs limites, alors que le registre est parfois redoutable. Ainsi Sofia Soloviy doit-elle poitriner à outrance pour exprimer les graves de Fiordiligi dans Come scoglio. On pourrait passer sur ces défauts si on sentait une électricité traverser les interprètes. Ce n’est pas le cas : les deux sœurs Sofia Soloviy (Fiordiligi) et Janja Vuletic (Dorabella) paraissent terriblement en retrait, sauf à de rares moments (la reprise du Per pietà ou L’amore è un ladroncello), et les deux fiancés Finnur Bjarnason (Ferrando) et Edwin Crossley-Mercer (Guglielmo) peine à habiter leurs personnages.

L’accent du britannique William Shimell (Don Alfonso) n’est pas des plus purs dans la langue italienne et sa voix manque de consistance. Alors que selon le programme, Kiarostami souhaitait faire de Don Alfonso non seulement un personnage central mais aussi un humaniste aux antipodes du cynique souvent représenté, on peine à voir en quoi s’incarne cette intention. C’est alors l’espiègle Despina de Judith Van Wanroij qui se fait chef de file, sachant compenser une voix assez banale par un jeu vif et une présence scénique incontestable.

Enfin, la mise en scène d’Abbas Kiarostami laisse une impression partagée. Esthétiquement, c’est une réussite. Les décors sobres et élégants (colonnes en pierre de part et d’autre du plateau) épousent parfaitement l’architecture d’Aix ; l’usage de la vidéo n’est pas envahissant tout en étant bien présent : la représentation d’une calanque, le bleu dense de la mer donnent de la profondeur à la scène et apportent une dimension poétique. Mais que cette mise en scène est sage ! L’auteur du Goût de la cerise donne l’impression d’avoir été bridé devant le poids de l’œuvre. On en vient presque à regretter les provocations de certains metteurs en scène qui, si elles ne convainquent pas toujours, ont du moins le mérite de renouveler le regard et de convoquer un des leviers les plus puissants du théâtre : le questionnement.

IS