Chroniques

par irma foletti

Concours Opéra Raymond Duffaut Jeunes Espoirs

Opéra Grand Avignon / Auditorium du Grand Avignon, Le Pontet
- 30 septembre 2017

Beaucoup de changements sont intervenus depuis la fin de saison dernière à l’Opéra Grand Avignon. D’abord Raymond Duffaut, qui était aux commandes de la maison depuis quarante-cinq ans, jouit désormais d’une retraite justement méritée… mais sans qu’il décroche complètement pour autant, puisqu’il assure la présidence du jury de ce concours lyrique qui porte désormais son nom, Concours Opéra Raymond Duffaut Jeunes Espoirs1. Et puis, des travaux de rénovation et de mises aux normes étant programmés pendant deux ans dans le théâtre au centre-ville, il faut trouver des lieux de substitution pour les spectacles. En attendant la mise à disposition, attendue fin novembre, de l’espace temporaire, l’Opéra Confluence en construction, situé à deux pas de la gare TGV, c’est l’Auditorium du Pontet qui a hébergé cette troisième édition de l’événement.

Comble du luxe, la manifestation a invité un parrain de choix en la personne de Patrick Poivre d’Arvor, qui indique que sur les cent vingt-neuf candidats présents au départ, seize ont été retenus pour la soirée de finale, ce samedi. Ils sont répartis en trois catégories : jusqu’à dix-huit ans en Jeune Espoir, vingt-deux ans en Jeune Talent et en Révélation pour les vingt-six ans. Ils chantent un air, puis un second après un court entracte, dans le même ordre de passage. Onze prix étant à distribuer, on pouvait attendre une majorité de lauréats parmi les finalistes, mais les cumuls se nichent partout ! Ce sont, au bilan, sept compétiteurs qui repartent avec au moins un prix.

En Jeune Espoir, la palme va à Joachim Coffinier (dix-huit ans), préféré au soprano Laure Cazin visiblement embarrassée par un trac perturbant sa stabilité et son souffle. Le baryton se montre plus convaincant dans Händel que dans Tchaïkovski, mais il doit améliorer son italien et éviter un son trop nasal. La concurrence est relevée davantage parmi les six Jeunes Talents, le prix de la catégorie allant à Margaux Poguet, voix acidulée marquant surtout des points dans The Medium (Menotti), alors que sa Marzelline (Fidelio) est plus hachée et sourde sur certaines fins de phrases. On lui préfère, de toute façon, Hélène Carpentier qui reçoit le titre le plus important de la soirée, le Grand prix de la région PACA, ainsi que celui de la meilleure interprète du répertoire italien. Ce soprano de vingt-deux ans compose d’abord une brillante Musetta (La bohème), impeccable de musicalité, puis une Norina (Don Pasquale) agile et piquante, déjà très aguerrie malgré son jeune âge. Le ténor Yoan Le Lan reçoit le prix de la Banque Populaire de la Méditerranée – une maquette d’un chèque de 1500€ en grand format qu’il montre au public… comme à l’Euromillion. Son Idomeneo est vaillant, sonore surtout dans la partie médium, la voix est bien homogène, mais les vocalises finales peuvent devenir encore plus huilées. Il craque une note (la seule de la soirée, pour tous les candidats !) dans la mélodie de Verdi en deuxième partie, et son registre aigu paraît tout de même limité.

En passant aux Révélations, la compétition est encore plus rude. Le prix de la catégorie est attribué au contre-ténor canadien Cameron Shahbazi (vingt-cinq ans). Son Oberon (Midsummer night’s dream) est un enchantement, passant sans cassure du suraigu évanescent à des notes de poitrine dans le grave. Son Tomoleo de Händel est aussi magnifiquement élégiaque, mais on aimerait l’entendre dans un morceau plus virtuose. Il cumule aussi avec le prix Grand Avignon, « décerné à l’unanimité » laissant sous-entendre que ce ne fut pas le cas pour les autres prix. Autre double palme, le mezzo Aliénor Feix (vingt-six ans) reçoit le prix du Conseil Départemental de Vaucluse et celui de l’Orchidée, décernée par un jury spécial de quatre étudiants. Cela dépend évidemment des goûts de chacun, mais c’est elle qui produit sur moi la sensation de la soirée dans une Armide (Lully) absolument volcanique, d’un volume bien plus important que ce qu’on entend habituellement dans le répertoire baroque. La diction est remarquablement claire, l’instrument homogène et racé. Le choix de son deuxième air est malheureusement plus problématique, I’m so easily assimilated de Candide (Bernstein) ne lui permettant pas de briller autant.

Très attendu, le prix du public récompense, avec une heureuse justice, le soprano Julie Goussot (vingt-trois ans), à la prononciation excellente dans L’enfant prodigue (Debussy), puis très émouvante dans la mort de Liù (Turandot). Les aigus sont bien en place, ainsi que les nuances. Dans ce concours décidemment de grande qualité2, aucun candidat ne démérite et certains autres concurrents retiennent également l’attention, comme Adrien Djouadou, vraie basse profonde qui rend justice au Fiesco de Verdi (Simon Boccanegra), mais qui doit sans doute travailler la noblesse de l’accent. Le ténor Julien Henric émeut dans un Werther souffreteux bien ressenti, mais beaucoup moins dans I Lombardi (Verdi). Le contre-ténor très aigu, ou sopraniste, Théo Imart possède à l’évidence un formidable potentiel de notes tour à tour puissantes ou élégiaques, mais il est fort dommage que la technique soit en-deçà de ce superbe matériau ; il doit à présent travailler la stabilité et la maîtrise de la ligne de chant, et certainement gagner en abattage quand le rythme s’accélère. Le mezzo-soprano italien Silvia Alice Gianolla fait entendre un grain rare, très sombre, à l’aise dans The Consul (Menotti) puis La Gioconda (Ponchielli), mais elle doit tenter de gommer les cassures entre le médium et le registre plus grave. Un coup de chapeau, enfin, aux pianistes Hélène Blanc et Ayaka Niwano qui accompagnent sans heurts tous ces jeunes artistes en devenir.

IF

1 Le jury est composé d’Inva Mula (soprano), Françoise Pétro (conseillère artistique de l’Adami), Monique Albergati (déléguée consulaire d’Italie), Paolo Pinamonti (directeur artistique du Teatro San Carlo de Naples), Pierre Guiral (directeur d’Opéra Grand Avignon), Yves Senn (directeur de L’Avant-scène Opéra), Richard Martet (rédacteur en chef d’Opéra Magazine), et présidé par Raymond Duffaut (président du Centre Français de Promotion Lyrique).

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