Chroniques

par david verdier

concert 5 – Henze, Schreier et Weill
Maîtrise et Orchestre Philharmonique de Radio France

Présences / Maison de Radio France, Paris
- 16 février 2014
le mémorail Rosa Luxemburg à Berlin
© manfred brückels | gedenkstätte für rosa luxemburg (berlin, 2005)

La direction de Sofi Jeannin à la tête de la Maîtrise de Radio France ne souffre pas vraiment de défauts rédhibitoires. Il faut sans doute aller chercher ailleurs matière à reproche – dans la programmation, en particulier. Pourquoi se limiter à une seule création (par ailleurs assez lisse et inconsistante) dans un programme dont l'œuvre la plus récente date de 1963 ? Les présences dont il est question dans ce festival ne devraient pas occulter ainsi le travail de nombreux compositeurs véritablement contemporains dans le domaine du chant choral, faute de quoi le public pourra tranquillement continuer de penser cet effectif condamné au Requiem de Fauré comme unique horizon de modernité.

Écrite par Hans Werner Henze d'après une traduction allemande du texte de Lope de Vega, la Wiegenlied der Mutter Gottes (1948) exige de l'auditeur qu'il pose immédiatement son programme, sauf à admirer dans ce livret une prose digne d'un catéchisme bon-enfant. Autour du texte les voix d'enfants composent un ensemble très homogène, aux couleurs impassibles et séraphiques. Les tenues aériennes semblent se désintéresser d'un petit accompagnement orchestral lui-même fort sage et peu discordant. La harpe ponctue d'une constellation de notes les échanges entre l'alto rugueux et le cor en sourdine. Le discours s'articule autour des respirations instrumentales qui séparent les interventions chorales. « Faites taire le bruissement ! » nous dit-on. Les cuivres pétaradants tentent alors de secouer une partition qui peine à exister au delà du postmodernisme d'après-guerre.

Lorsque débute Berceuse d'Anno Schreier, une angoisse nous prend qui fait rouvrir ces fameuses notes de programme pour vérifier la date de naissance du compositeur – 1979 ! – et s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un deuxième couplet du lénifiant Henze. L'effectif inchangé trahit l'hommage volontaire rendu à son aîné pour, dit-il, « trouver [sa] réponse à la musique de Henze ». Le texte éponyme de Paul Verlaine évoque le balancement du berceau et le funeste pressentiment qu'il évoque au poète. Entre marches harmoniques et écriture mélismatique, la musique de Schreier semble encore plus décatie que celle de son prédécesseur… seules les alternances finales (« Silence, Silence ! ») créent un effet insolite qui joue sur la dilution par effet de chevauchement…

Qu'on aime ou non la musique de Kurt Weill, on ne saurait lui reprocher une intuition sans faille qui l'amena à choisir des textes assurément très forts. Son Berliner Requiem fut créé en 1929 en réponse à une commande de la radio de Francfort. Ce pied de nez à la pesanteur liturgique (on pense évidemment à une approche inverse du Deutsches Requiem de Brahms) s'inspire du recueil Die Hauspostille de Bertold Brecht. On peut y lire un hommage aux morts de la grande guerre, dont on célébrait le dixième anniversaire ; il faut également mentionner l'allusion à l'assassinat de Rosa Luxemburg (die rote Rosa) dont le corps fut repêché dans le Landwehrkanal de Berlin. Ni sacré ni profane, le livret rappelle très poétiquement l'absence de Dieu et de jugement dernier :

Louez du ciel la mauvaise mémoire !
Nom, visage, il ignore
Tout de vous : nul ne peut savoir
Que vous êtes là tous encore.

(…)

Louez la nuit, le froid et le pourrissement !
Sous le ciel hors d'atteinte,
Voyez : de vous rien ne dépend
Et vous pouvez mourir sans crainte.

L'écriture homophonique renforce l'envergure très déclamatoire du trio ténor-baryton-basse. Des scansions plus ou moins affirmées ébranlent la ligne générale en exagérant la fausse martialité du propos. La signature douce-amère de la clarinette donne à Ballade vom ertrunkenen Mädchen (Ballade de la fille noyée) et à l'épitaphe cette couleur brechtienne si particulière. Dans l'antimilitarisme tragicomique des deux Berichten über den Unbekannten Soldaten unter dem Triumphbogen (Poèmes du Soldat inconnu sous l'arc de triomphe), la densité littéraire du texte l'emporte aisément sur une musique volontairement limitée à un rythme binaire à la grosse caisse. Ça braille ferme, jusqu'au final à l'unisson. Le second poème est une déploration avec orgue et baryton. Impossible de ne pas penser aux interventions de l'Évangéliste dans les Passions de Bach. Avec componction et force tremblotements de poitrine, Benedict Nelson dessine une vision crue du repos éternel et de la gloire militaire.

Retour à une forme esthétique plus conventionnelle avec Being Beauteous (1963) d’Henze. Réduit à quatre violoncelles et une harpe, l’effectif accompagne le soprano roumain Marlene Mild dans un flux sirupeux, aux limites de la nostalgie. Les dessins fulgurants de la harpe traversent l'espace avec la naïveté confondante des pas chassés d'une sylphide hors d'âge. La stridence des trop longs aigus nous rappelle les ambiguïtés d'une écriture si mal commode et quasi archaïque. Rimbaud est ici abordé par son versant illustratif, le moins intéressant (est-il nécessaire de l’ajouter ?). La pièce retourne illico au tiroir d'où elle fut tirée.

DV