Chroniques

par vincent guillemin

concert 5 – Adams, Norman, Rouse et Shepherd
James Gaffigan dirige l'Orchestre national de France

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 12 février 2015
James Gaffigan dirige l'Orchestre national de France dans un programme USA
© mat hennek

À l’Auditorium de Radio France, personne ou presque ne s’est déplacé pour le cinquième concert du festival Présences, consacré cette années aux deux Amériques. C’est à se demander s’il y a une pertinence à « booker » d’aussi bons artistes et une formation de la qualité de l’Orchestre national de France pour un public aussi réduit et, malheureusement, pour des œuvres aussi médiocres. En effet, on pourrait être tenté d’attribuer au bon goût de nos mélomanes leur défection, face à la faiblesse des pièces données ce soir en création française.

À plusieurs reprises, nous avons entendu la musique de Christopher Rouse, et dernièrement au Lincoln Center [lire notre chronique du 11 octobre 2014] où il présentait un nouvel opus commandé par le New York Philharmonic, très en phase avec l’attente du public américain, et surtout avec celle des mécènes qui, pour la plupart, n’acceptent la création que dans la mesure où elle ne les brusque pas. En ouverture de ce concert, nous découvrons Prospero’s room, page d’environ huit minutes qui elle aussi fut commandée par le New York Philharmonic, inspirée par la nouvelle d’Edgar Poe, Le masque de la mort rouge (The masque of the red death, 1842). Ce magma symphonique sinueux hésite entre fortissimo et fortississimo tout en déléguant aux premiers violons une ligne devant sans doute s’apparenter à de la tension. En contrepoint, cuivres et bois prouvent que le compositeur connaît bien son Chostakovitch… Dommage, car l’ONF est en grande forme et James Gaffigan le mène avec une précision et une ampleur du geste qui avait autrement satisfait dans la musique de Prokofiev, l’an dernier.

La seconde pièce, Suspend, du jeune compositeur Andrew Norman, créée en mai 2014 par le Los Angeles Philharmonic et Gustavo Dudamel, semble plus intéressante, même si elle tient trop sur un seul concept, qui fonctionne bien les quatre-cinq premières minutes avant de s’essouffler. Elle débute par l’excellente intervention d’Inon Barnatan qui, pour commencer, touche le piano sans en faire sortir un seul son, puis se lance pianissimo à tirer du silence les notes fa, la et mi – autrement dites F, A et E : « frei aber einsam », libre mais seul. En rapport à Brahms, l’œuvre consiste en un développement imaginatif du pianiste qui peu à peu croit entendre l’apparition d’un orchestre, ce qui devient réalité lorsqu’il se met à jouer, d’abord par bribes aux cordes, puis plus globalement, avant que le procédé cyclique ne ramène la coda vers le début, et achève l’ouvrage comme il a commencé, avec une nostalgie bien pensée.

Pièce en trois parties d’environ quatre minutes chacune, Wanderlust (mot-valise désignant l’amour du voyage) de Sean Shepherd mérite peu d’attention, tant l’écriture en est convenue. Après un violent accord de trompettes (superbement précises au demeurant), Wanderlust oscille ensuite entre différentes sonorités largement entendues, de Charles Ives à Edgar Varèse en passant par Arthur Honegger. Des violons aux percussions les sections s’imbriquent sans jamais trouver leur ligne, comme si l’amas déconstruit se justifiait par lui-même [sur ce compositeur, lire nos chroniques du 27 septembre et du 10 janvier 2012]. Là encore, orchestre et chef donne un superbe cours, sans réussir toutefois à captiver l’auditeur, forcément décontenancé par la faiblesse du matériau.

Après l’entracte, la pièce plus célèbre de John Adams, le chouchou de la musique contemporaine de ceux qui n’aiment pas cela… Tirée de l’opéra éponyme composé en 2005 sur un livret de Peter Sellars [lire notre critique DVD et notre chronique du 17 juin 2007], Doctor Atomic Symphony fait entendre une solide technique d’écriture, tant dans le discours global que dans l’agencement mélodique et les variations. Pourtant, l’apport de cette esthétique aux dernières décennies reste relativement incompréhensible, et l’œuvre permet surtout de profiter de l’art des instrumentistes en présence, à commencer par la première trompette, et une fois encore de la direction avisée de Gaffigan, intelligent dans sa gestion du tutti sans jamais tomber dans l’excès d’expansivité auxquels nous ont habitués certains chefs, adeptes de grands gestes qui rappellent que cette musique « bouge ».

VG