Chroniques

par david verdier

concert 3 – Frauke Aulbert, soprano
création de Via della croce de Geoffroy Drouin

Présences / Maison de Radio France, Paris
- 15 février 2014
le compositeur français Geoffroy Drouin (né en 1970)
© dr

Pour sa troisième journée, Présences s'installe au Studio 105 de la Maison de la Radio pour un concert très court, suivi d'une traditionnelle table ronde thématique. Né en 1970, Geoffroy Drouin a suivi les cours de Gérard Grisey, Marco Stroppa et Marc-André Dalbavie au CNSMD de Paris. Son travail de compositeur rend compte d'une proximité avec les potentialités de l'électroacoustique et la recherche de nouveaux timbres. Son activité de conférencier, notamment dans le cadre des samedis d'Entretemps à l'Ircam, s'est prolongée par un séjour à la Villa Médicis en 2012. Son Via della croce pour soprano et électronique détourne momentanément vers le sud l'axe Paris-Berlin qui sert de fil rouge à cette édition du festival.

Le sujet s'inspire des écrits de la jeune mystique Gemma Galgani – ou plutôt du verbatim recueilli par ses proches. Originaire de Lucques, sa courte existence au tournant du XXe siècle fut ponctuée d'épisodes d'extases et de délires qui impressionnèrent fortement ses contemporains, au point qu'elle fut canonisée dans les années quarante. Les extraits utilisés par Geoffroy Drouin s'inscrivent dans la pure tradition des dialogues mystiques où se mêlent tout à la fois amour incarné, rejet, auto-persécution etc. On ne peut s'empêcher de penser (certes, sous une forme édulcorée chez Galgani) aux éructations détraquées de Louise du Néant dont les vertiges servirent d'inspiration à Brice Pauset pour une pièce également pour soprano et électronique.

À défaut de porter les stigmates, le jeune et talentueux soprano Frauke Aulbert rappelle davantage les anges thuriféraires qu'on voit chez van Eyck. Fugitive impression, car l'interprète sait en un clin d'œil se muer en noir démon grâce à une palette vocale très étendue et une parfaite maîtrise des modes expressifs. Accoutumée aux pièces d'Aperghis et du fils Stockhausen, elle dialogue ici avec une électronique foisonnante qui l'environne constamment. Dans la courte présentation de sa pièce, Drouin indique sa volonté de garantir l'intelligibilité du texte, ce qui ne semble pourtant pas évident à la première écoute.

Du silence émerge progressivement le souffle imperceptible de l'interprète. Cette respiration équivoque, qui tantôt s'accélère tantôt ralentit, évoque conjointement un râle de douleur et un souffle de plaisir. Comme chez Pauset, il est fait usage de notes aspirées – ce chant « à l'envers » qui pénètre le corps plutôt qu'il n'en sort. La lutherie électronique recouvre presque entièrement l'expression naturelle de la voix, jusqu'à donner l'impression que l'écoute se fait de l'intérieur de la vaste machinerie. La transformation en temps réel joue sur des alternances de sampler et vrombissements. La voix est difractée sur fond de halos et de flous réverbérés dont les prolongations se terminent en crissements lumineux. La systématisation des effets de spatialisation et de désarticulation entre voix direct et voix rediffusée avec effet de retard finit par lasser. Paradoxalement, l'omniprésence du traitement électronique désincarne la voix. En effaçant la présence physique du soprano, on retrouve l'atmosphère d'un de ces « ateliers de création radiophonique » dont les horizons imaginaires hantent les écoutes nocturnes.

Dans une seconde partie, le nuage électroacoustique s'allège et devient moins dense. On flotte dans un psychédélisme de bon aloi, avec ces longues tenues dans l'aigu qui cherchent à traduire les céphalées du dialogue mystique. Ces trouées lumineuses percent de part en part un magma visqueux et oppressant de sons gutturaux. On navigue à vue dans cet espace-temps sans structure réelle, ce que renforce la non-narrativité du texte. Entre la débauche des effets, la complexité de l'écriture et la minceur relative du résultat, la perplexité est de mise.

DV