Chroniques

par michel slama

Christopher Franklin dirige l’Orchestre de Chambre de Paris
La sonnambula, opéra de Vincenzo Bellini (version de concert)

Les grandes voix / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 11 avril 2016
Christopher Franklin joue La sonnambula, opéra de Bellini, à Paris (TCE, 2016)
© marco giangrandi

Décidément, la superbe saison Les grandes voix réserve des événements de choix que le monde lyrique ne peut qu’envier ! Après un somptueux Werther [lire notre chronique du 9 avril 2016], c’est au tour de la très talentueuse et prometteuse Sabine Devieilhe d’effectuer une nouvelle prise de rôle dans La sonnambula, œuvre particulièrement négligée à Paris.

Peu de cantatrices, surtout en début de carrière, ont tenté de se mesurer à la « statue du Commandeur » de Maria Callas qui s’illustra de façon définitive dans ce rôle belcantiste. Un enregistrement live de 1955 (avec Leonard Bernstein à La Scala) en apporte la preuve flagrante. Très en vogue depuis sa création en 1831, l’opéra de Bellini, écrit en quelques mois, serait un succès mondial. Les divas légendaires – comme Jenny Lind, Maria Malibran, Adelina Patti, Giuditta Pasta, etc. – en ont fait leur cheval de bataille. Depuis, Joan Sutherland, Renata Scotto ou Edita Gruberová (pour ne citer qu’elles) ont perpétué l’incarnation d’Amina, l’innocente épousée. Plus près de nous, ce sont Natalie Dessay, qui l’interpréta dans ce même Théâtre des Champs-Élysées en 2006, et Cecilia Bartoli qui relevèrent le flambeau de leur illustres devancières.

On imagine facilement vers laquelle de ses consœurs l’interprétation de l’artiste penche. Plus proche des moyens vocaux de Dessay, Sabine Devieilhe offre une interprétation incroyable de pyrotechnie et de notes stratosphériques, mais empreinte d’une intériorisation du caractère, avec l’intelligence et la grâce qu’on lui connaît. Ici même, cet hiver, elle incarnait une Ismène habitée et toujours virtuose dans Mitridate [lire notre chronique du 11 février 2016]. Cette jeune carrière a pris un essor fulgurant. Elle a déjà triomphé en Königin der Nacht (Mozart), à l’Opéra national de Paris et à Lyon [lire nos chroniques du 14 mars 2014 et du 24 juin 2013], dans le rôle-titre de Lakmé (Delibes) et en Adèle de La chauve-souris (Strauss), en français, à l’Opéra Comique et à l’Opéra Grand Avignon. Même si le rôle d’Amina fut composé pour la cantatrice qui créa celui de Norma (Giuditta Pasta), Devieilhe pousse les limites de son soprano léger, très colorature, par une projection exceptionnelle, ce qui met en délire la salle archicomble. Le public, qui n’en croit pas ses oreilles, est complètement subjugué.

Mari jaloux qui se croit trompé, Elvino est l’irrégulier John Osborn. Spécialisé dans le bel canto et l’opéra romantique, le ténor a trop fréquenté des emplois de plus en plus lourds [lire notre critique du DVD I puritani, ainsi que nos chroniques du 11 septembre 2015, du 26 décembre 2013 et du 28 février 2010]. En méforme vocale, il déçoit par une ligne de chant irrégulière qui alterne notes criées et presqu’étouffées. Ses duos avec Amina restent de belle facture, sauf pour les ornementations et vocalises où la splendeur vocale et la technique hors pair de sa partenaire font la différence.

Le seul Italien de la distribution est le baryton-basse Nicola Ulivieri dont la prestance et la voix rendent indispensable le comte Rodolfo, personnage complexe. Habitué des plus grandes scènes internationales, il est dirigé par les chefs les plus prestigieux [lire notre critique du CD Tito Manlio]. La jeune française Jennifer Michel est une délicieuse Lisa, fort applaudie pour sa belle prestation dans un rôle buffa ambigu. Les rôles secondaires sont honnêtement tenus.

Alors d’où vient cette sensation d’insatisfaction et d’ennui que certains ressentent lorsque Sabine Devieilhe n’intervient pas ? Peut-être est-ce lié à une direction d’orchestre peu adaptée à cette musique très italienne où une certaine lourdeur n’a pu être évitée. À la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris, le jeune Nord-américain Christopher Franklin, bien que passionnant dans Rossini [lire notre chronique du 17 mars 2016], ne parvient pas à convaincre. C’est dommage !

MS