Chroniques

par pierre-jean tribot

Christian Thielemann à la tête des Wiener Philharmoniker
Beethoven, Mozart et Schumann

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 29 mars 2006

Enfin ! Le chef d’orchestre allemand Christian Thielemann, né en 1959, vient d’effectuer ses débuts en Belgique au pupitre des Wiener Philharmoniker. L’observateur belge pouvait, après une longue attente, se faire une idée sur ce maestro hautement controversé. Des disques pulvérisés par la critique, une prétendue fascination pour des idées extrêmes liée à ses propos sur la tradition allemande, les hypothétiques actions de sa famille dans une célèbre multinationale du disque, rien n’a été épargné à ce musicien qui poursuit tout de même une carrière internationale de haut vol.

Christian Thielemann est incontestablement un artiste charismatique. Visiblement peu à l’aise avec son gabarit de géant, le chef sait, par une gestique toute personnelle, transmettre ses impulsions à un orchestre sur lequel l’emprise est visiblement totale. Il est d’ailleurs amusant de voir ce colosse aux rustres allures d’officier de cavalerie sauter de joie sur l’estrade lors de la standing ovation finale.

Donné dans le cadre toujours guindé des galas européens et à l’occasion de la présidence officielle de la Communauté européenne de l’Autriche, ce concert protocolaire ne pouvait faire l’impasse sur Mozart. L’on se verra tour à tour dubitatif ou enchanté devant le choix du Concerto pour basson en si bémol majeur K.191. Loin d’être un chef-d’œuvre de l’enfant de Salzbourg, cette page « gentille » demeure rare dans les programmations. Comme souvent lors de ses nombreuses tournées, la philharmonie viennoise se plaît à montrer ses chefs de pupitres en solistes de concerti pour vents. Stephan Turnovsky, son basson solo, livre une belle performance, alors que le chef a enclenché le pilote automatique. Mozart, c’est le jardin de l’orchestre qui sait faire valoir ses couleurs uniques : le galbe harmonieux des cordes et la douceur des vents ; nul besoin d’un guide, c’est au contraire au chef de suivre ses troupes.

Thielemann est l’auteur d’une mauvaise intégrale des symphonies de Schumann à la tête du Philharmonia Orchestra de Londres. À l’exception d’une superbe Deuxième, sa version s’enlise dans une brutalité et un romantisme à l’eau de rose complètement hors de propos. On attendait donc, plus anxieux qu’heureux, sa lecture de la Rhénane. Le premier mouvement est décevant. Tout apparaît haché et dur, alors que l’orchestre a du mal à entrer dans l’œuvre. Mais au fil de la partition, le chef le dompte pour livrer une interprétation fascinante qui culmine dans un final à la tension grandiose. Thielemann ose également ressusciter les changements de tempo. À une époque où rubato rime avec gros mot, cette conception étonne. Devant l’intelligence musicale de l’artiste, l’auditeur est bien forcé d’acquiescer.

La Symphonie en ut mineur Op.67 n°5 de Beethoven souffle le chaud et le froid. Dans une conception plutôt ample, le chef n’en réussit pas bien le premier mouvement qui manque de souffle, en dépit d’une solide construction. Les deuxième et troisième venus mieux, Thielemann se plaisant à jouer avec les timbres. L’apothéose surgit du final, emporté par un élan dramatique fascinant. Acclamé par le public, les artistes ne donnent cependant pas de bis. Tout au long de cette soirée, si l’on se régale des sonorités viennoises, la formation – dont on connaît le rythme de travail, aux limites de l’insoutenable – ne livre pas la « prestation du siècle », les vents et les cuivres se laissant plus qu’à leur tour prendre à défaut. Cependant, ce concert montre sous un jour favorable un chef aux partis-pris interprétatifs intéressants que l’on souhaite réentendre rapidement.

PJT