Chroniques

par jérémie szpirglas

Chamber Orchestra of Europe
Sakari Oramo joue Schumann, Saint-Saëns, Prokofiev et Ligeti

Cité de la Musique, Paris
- 17 avril 2010
© heikki tuuli and octavia

La grande salle de la Cité de la musique semble assez vide ce soir. Certes, c’est le début des vacances, et un certain volcan islandais retient sans doute en otage quelques mélomanes loin de la Porte de Pantin, mais on s’étonne toutefois que le Chamber Orchestra of Europe, longtemps l’une des phalanges les plus en vue de part le monde, soit ainsi déserté.

Le nom de Ligeti a peut-être pu en effrayer quelques-uns. Son Concert Romanesc, qu’il appelait lui-même une gentille plaisanterie tonale, n’a pourtant du Grand Ligeti que son esprit plein d’humour acerbe. Composée en 1951, la partition témoigne de la censure dont les œuvres antérieures du jeune compositeur ont fait les frais et apparaît assez peu novatrice. Elle réserve toutefois quelques très beaux moments : les couleurs orchestrales du premier mouvement — particulièrement soignées par le chef Sakari Oramo et merveilleusement servies par les musiciens dont le métier et la technique d’orchestre ne sont plus à prouver —, l’énergie plaisante et enjouée de l’Allegro vivace qui suit — très inspiré, dans le sillage de Bartók et Kodály, par les danses traditionnelles —, et l’exquis Final qui offre au violon solo un formidable moment de fantaisie tzigane.

Lorenza Borrani, violon solo du COE, vole ainsi quasiment la vedette à la violoniste Lisa Batiashvili qui déçoit ce soir dans le Concerto pour violon en ré majeur Op.19 n°1 de Prokofiev. Si ses phrasés sont, dans un premier temps, d’une simplicité presque naïve — évoquant une colombe qui prendrait son envol dans un ciel pur de printemps —, si elle ne cherche pas à projeter plus que de raison et trouve d’emblée un équilibre naturel avec l’orchestre, on la sent plus tard sur la retenue, trop sage, et parfois même un peu plate. On a surtout le sentiment que, pour ne pas lui faire de l’ombre, l’orchestre se met délibérément en sourdine, au détriment de l’énergie et de la puissance. Même dans le galopant Scherzo, on se sent frustré : on aimerait plus de mordant dans les articulations de la soliste, plus d’incisif dans les accents de l’orchestre. Dans le final, Lisa Batiashvili renoue avec l’élégance du début, et, avec la complicité de Sakari Oramo, nous fait découvrir, peut-être involontairement, les similitudes cachées entre les écritures concertantes de Sibelius et de Prokofiev — préférant le lyrisme éthéré et la grâce à l’âpreté mordante et à l’emportement auxquels on serait davantage habitué dans ce concerto dont on a encore à l’oreille les versions d’Oïstrakh ou de Perlman.

Ils pourront heureusement se rattraper dans Introduction et Rondo Capriccioso de Saint-Saëns où l’une donne à entendre une époustouflante démonstration technique et l’autre un accompagnement plein d’humour.

En seconde partie, en revanche, le Chamber Orchestra of Europe fera montre de ses défauts : Sakari Oramo lâchant un peu la bride, ces musiciens extraordinaires ont tendance à céder, à la moindre seconde d’inattention du chef, à leurs plus futiles excentricités. Si l’on est alors envahi par l’agréable sensation d’une véritable incarnation chambriste de l’orchestre symphonique, c’est au détriment de la cohérence et de la tenue de la lecture de la partition. Et on ressort de cette Symphonie Rhénane de Schumann avec la sensation d’avoir mangé un plat à la fois trop riche et sans grande saveur, enchaîné sans jamais reprendre son souffle.

On retrouvera heureusement le formidable outil qu’est le COE sous un meilleur jour dans le petit bis de Sibelius que nous aura réservé le chef finlandais.

JS