Chroniques

par bertrand bolognesi

Boulez joue Jolivet, Messiaen et Varèse
Orchestre du Conservatoire

Cité de la musique, Paris
- 19 novembre 2005
Pierre Boulez, compositeur, dirige la musique de Jolivet
© dr

Voilà plusieurs années que Pierre Boulez apporte son concours aux concerts de l’Orchestre du Conservatoire de Paris. Si nous l’entendions dans un acte de Parsifal il y a deux ans, c’est un programme de musique française des années trente qu’il dirige cette fois. Le rite convoque un certain goût de l’époque, comme en témoignent les œuvres mises en présence. « Que la germination se fasse ! Que l’aube soit ! » : c’est déjà résumer le propos d’Ecuatorial qu’Edgar Varèse compose en 1934 et révise en 1961. S’imprégnant de la culture précolombienne, le musicien livrait une partition ne ressemblant à rien d’autre dans le paysage musical de son temps. Cette page rare, qui convoque un chœur d’hommes, un orgue, ondes Martenot, cuivres et percussions, n’est certes pas d’un abord facile pour les instrumentistes. Ici, la pâte des cuivres gagne une homogénéité remarquable. Boulez équilibre étonnement son effectif, dans une lecture peut-être moins ciselée que celles qu’il conduisit par le passé. De fait, il réserve les contrastes pour l’apparition des voix dont le grave s’oppose aux sifflements des ondes.

Unique élève de Varèse, André Jolivet écrivit en 1939 Cinq danses rituelles pour piano et dès l’année suivante s’attelait à leur orchestration. Quoi de plus initiatique que cette Danse initiatique lorsque Boulez lui-même, en la jouant, transmet à de jeunes instrumentistes son savoir et son expérience ? Il associe le mystère à la clarté, voire à une relative sensualité du son (alliage de flûte, clarinette et premier violon à peine souligné). La Danse du héros trouve un relief énergique, bien que son écriture ne soit guère raffinée. Les relais de timbres des vents, dans la Danse nuptiale, sont nettement plus intéressants. Dans la Danse du rapt, Boulez devient littéralement captivant : il utiliser l’enthousiasme, l’énergie et la ferveur des jeunes gens – comme il le fit lors d’un Sacre de légende à la tête du Mahler Jugendorchester, ici-même, il y a quelques années. Enfin, l’orchestration de la Danse funéraire accuse suffisamment de faiblesses pour ne pas changer grand’chose à notre approche de la musique de Jolivet.

En revanche, quel ravissement que la riche couleur de la partition d’Olivier Messiaen ! Boulez souligne la suavité des cordes des Poèmes pour Mi, dès l’Action de grâces qu’Yvonne Naef porte haut. Souffrant d’un refroidissement, le mezzo-soprano, bien que se faisant excuser par une annonce en début de concert, a tenu à assumer sa prestation. De fait, si l’on remarque un Alléluia difficile et un grave moins présent que d’habitude sur les premières mélodies, l’artiste offre au texte l’avantage d’une diction exemplaire que magnifie une richesse de timbre bien au rendez-vous et un art de la nuance qui, quoi que d’abord prudent, fait goûter au mieux cette musique. On saluera la tendresse des cordes de La maison, de même que la somptueuse moire qu’elles réalisent sur la fin de L’Épouse. Ailleurs, on remarque une relative raideur des musiciens qui explique d’ailleurs que l’orchestre se soit peu adapté aux soucis de la voix à certains moments. Mais l’enthousiaste volée de cloches de Prière exaucée finira de charmer l’auditoire.

BB