Chroniques

par nicolas munck

autour d’Olivier Messiaen
table-ronde d'Alexander Goehr et George Benjamin

Festival Messiaen au Pays de La Meige / Salle des fêtes, La Grave
- 2 août 2013
le compositeur Alexandre Goehr, invité du Festival Messiaen au Pays de La Meije
© lengemann

Le dernier jour de notre périple journalistique en Hautes-Alpes se décline autour de deux événements charnières, en matinée puis à l’heure du thé (un substitut à la fameuse tisane de l’amitié post-concert ?). Notre choix et notre curiosité se sont naturellement portés sur la table-ronde Goehr|Benjamin puis sur le récital de Florent Boffard.

En présence des deux compositeurs mis à l’honneur en ce Jardin anglais sont abordées des problématiques aussi variées que les particularités de l’enseignement d’Olivier Messiaen, quelques aspects de leurs esthétiques respectives – peut-on considérer qu’il existe un « style anglais » post-Britten ? Une identité compositionnelle « britannique », si ce n’est anglaise, marquée ? –, ainsi que la place du compositeur dans la société – question, certes, plus éculée, mais importante en termes de témoignage et de constitution de sources. Conduite par Éric Denut (musicologue, auteur d’une récente série d’entretiens avec George Benjamin publiées aux éditions MF [lire notre critique de l’ouvrage] et directeur de la promotion chez Universal Music Publishing Classical), la première partie de cette rencontre, à l’aspect délicieusement informel, repose essentiellement sur la présentation croisée des parcours des compositeurs invités, avec quelques exemples musicaux à l’appui.

Plus que l’aspect purement biographique – sans exclure de cette construction personnelle le poids de la figure tutélaire du père, le chef d’orchestre Walter Goehr, qui défend avec militantisme les musiques de Messiaen et de Monteverdi auprès du public anglais –, retenons du parcours musical d’Alexander Goehr [photo] la double formation reçue auprès du compositeur et chef d’orchestre Max Deutsch – un schönbergien pure souche [lire notre critique CD Der Schatz] ! – et de Messiaen. Une telle concomitance, qui n’est pas loin du grand écart, paraît impossible dans le contexte de l’époque. Du reste, et dans un franc sourire, Alexander Goehr confie avoir été mis à la porte par le maestro, en bonne et due forme, qui lui avait déclaré : « c’est Messiaen… ou Schönberg et ma musique ! ». Le ton ici clairement donné fournit un parfait exemple de l’hermétisme et du cloisonnement esthétique des années cinquante (il était réellement question de choisir un camp).

Si ce qu’on pourrait prendre pour une crise de couple se résout par le choix de l’enseignement de Messiaen (et d’Yvonne Loriot pour le contrepoint), nous sentons néanmoins une certaine réserve de Goehr qui déclare à plusieurs reprises ne pas avoir été « un élève de Messiaen au sens strict du terme » (contrairement à George Benjamin, l’élève préféré), le maître rencontrant en ce jeune compositeur d’outre-Manche un avis souvent personnel (comprendre : différent du sien). Une brève écoute d’extraits tirés de la Little Symphony (composée en 1960 après la mort de son père) donne par ailleurs l’occasion de constater l’existence d’un style qui se cristallise avec la grande tradition du passé (thème développé sous dix-huit variations) : « cela sonne un peu Messiaen », avouera Alexander Goehr.

La présentation du parcours de George Benjamin part d’un premier postulat esthétique : sa musique est certes complexe mais se construit sur une grande force de séduction ; la proximité avec la conception du langage harmonique de Messiaen est très forte. Cette contiguïté d’esprit s’exprime tout autant dans les notes d’intention d’un grand nombre de ses partitions (les œuvres de jeunesse, notamment), qui soulignent une vision imagée, voire narrative, du processus créateur, force évocatrice encore bien présente dans le genre lyrique. Toutefois – et sans doute faut-il mesurer ici l’impact de l’enseignement d’Alexander Goehr –, George Benjamin n’use pas, comme le fit Messiaen, de formes compartimentées (avec un fort degré de prévisibilité) et recherche sans cesse courbes et tensions permanentes (héritées de l’étude des partitions de Berg et de Sibelius). Palimpset 1, pièce d’orchestre créée le 2 février 2000 à Londres, est l’occasion d’aborder (de manière malheureusement succincte) quelques obsessions du compositeur : le langage harmonique et sa perception, les structures rythmiques complexes et l’orchestration, qu’il travaille toujours avec beaucoup de soin. Après ce portrait rapidement brossé, le musicien revient plus spécifiquement sur les apports de l’enseignement de Goehr à Cambridge : questionnements sur les notions de continuité, de cohérence formelle et orientation vers une pensée plus contrapuntique.

Après une courte pause, les débats s’orientent vers la place du compositeur dans la société (le style d’un compositeur britannique) et l’identité qu’il revêt dans son rapport à l’institution (notamment dans le genre opératique). Comme l’on pouvait s’y attendre, nos deux musiciens rejettent tout attachement à un nationalisme exacerbé – malgré une boutade dans laquelle ils se déclarent compositeurs anglais et non britanniques. George Benjamin répond par l’option de la négative, en affirmant que, malgré sa formation au Conservatoire de Paris, il n’a rien d’un compositeur français. Pour lui, la composition induit une forme de pragmatisme à mille lieux de la stérilité du dogmatisme et du fanatisme : « je fais ce que je veux », conclut-il – c’est bien là le propre d’un créateur !

NM