Chroniques

par bertrand bolognesi

Almira, Königin von Castilien | Almira, reine de Castille
opéra de Georg Friedrich Händel

Innsbrucker Festwochen der Alten Musik / Tiroler Landestheater
- 12 août 2014
Almira d'Händel (1705) ouvre l'Innsbrucker Festwochen der Alten Musik 2014
© rupert larl

Double événement au Tiroler Landestheater, dans le hall duquel un public dense se presse étroitement : outre qu’on y joue la première d’une nouvelle production lyrique, encore est-ce la soirée d’ouverture de l’édition 2014 de l’Innsbrucker Festwochen der Alten Musik (Festival de musique ancienne d’Innsbruck). Nous y accueille un ciel de Toussaint qui fait honneur à une œuvre ayant vu le jour dans les humides brumes du Nord… Tout commence cependant à Venise où Giuseppe Boniventi (1670-1727), futur maître de la chapelle ducale de Mantoue (de 1707 à 1712), fait représenter en 1691 son Almira, composé sur un livret de Giulio Pancieri, repris à Vicence quelques mois plus tard sous le titre Almira regina di Castiglia. Plusieurs années passent et, comme il se doit à l’époque, le même livret est remis en musique par Ruggiero Fedeli (1655-1722), Vénitien lui aussi et favori de la Reine de Prusse Sophie Charlotte de Hanovre ; nous sommes à Kassel, en 1702.

Au même moment, à l’Oper am Gänsemarkt d’Hambourg (Opéra du Marché aux Oies) dont il est le tout puissant Kappellmeister, le célèbre Saxon Reinhard Keiser (1674-1739) tente d’imposer un nouveau genre : verve seria, insistance prégnante sur l’argument amoureux, présence occasionnelle de la vis comica, enfin style « français » via un ballet d’importance. Outre le poète hambourgeois Barthold Brockes – sur le texte duquel Händel composerait d’ailleurs sa Passion (donnée en 1719 à l’occasion d’un passage à Hambourg du compositeur désormais britannique) – qui collabora avec Keiser, Friedrich Feustking (1678-1739), homme d’église ne dédaignant pas le monde du théâtre, s’illustra dans cette « modernité » à travers quelques livrets, dont Die unglückselige Cleopatra, Königin von Egypten de Johann Mattheson (La malheureuse Cléopâtre, reine d’Egypte), en 1704 et, l’année suivante, cette Almira, Königin von Castilien écrite pour Händel d’après le texte original de Pancieri.

Georg Friedrich Händel… un musicien alors quasiment inconnu qui toutefois avait pu jouer du clavecin devant le Frédéric III de Prusse en 1702 et occuper le poste d’organiste de la cathédrale d’Halle. En 1703, il quitte sa Saxe natale pour Hambourg où Johann Mattheson reconnaît son talent et l’aide de diverses manières. Il n’a pas encore tout à fait vingt ans lorsqu’en janvier 1705 l’Oper am Gänsemarkt joue son premier opéra, Almira, une œuvre parfaitement en phase avec les préceptes de Keiser qui, vraisemblablement par crainte de quelque rivalité naissante, ne la trouva pas à son goût.

Sous la battue d’Alessandro De Marchi, la Sinfonia saisit d’emblée l’écoute par la formidable tonicité de sa réalisation, mais encore les audaces harmoniques qui en truffent les modulations. Le ton est d’Ouverture à la française, assurément, avec une séquence médiane néanmoins clairement latine, gracieux passage tendre qui méditent les cordes pincées (théorbe, harpe, clavecin). Bref chœur d’entrée, puis air de Consalvo, puis deux musiques de danse viennent interrompre toute action. Chaconnes, sarabandes et ritournelles entravent la représentation, il faut bien l’avouer. L’hybridation des genres n’est guère un avantage, comme en témoigne la mise en scène esthétique mais impuissante de Jestke Mijinssen. Dans un décor sobre de Ben Baur, en perspective de cadres boisés tournant sur elle-même et brisant momentanément l’appréhension frontale du théâtre à l’italienne, les personnages évoluent d’une manière extrêmement contrite, dans des costumes changeants (signés par le décorateur) où se croisent diverses époques, de celle du compositeur aux années 1920 en passant par le temps de Pancieri.

De fait, le fil à bien du mal à se laisser tisser dans les interventions des différents rôles, et c’est bien plutôt à écouter la fosse qu’ici l’on trouvera son plaisir, l’alternance de langue allemande et d’italien n’aidant guère à fixer son attention sur cette œuvre hybride. Wolf Matthias Friedrich campe un Consalvo à la fois robuste et agile, bien impacté, sur un souffle un peu lourd qui va s’affinant. Le timbre de Manuel Günther s’avère souple et gracieux, mais pas toujours stable en Osman. Viktor Rud s’affirme un Fernando avantageusement sonore, avec une conduite plus précise de la voix. Du côté des dames, Rebecca Jo Loeb nuance joliment la partie de Bellante, quand Klara Ek ne magnifie guère le rôle-titre, à l’exception du fameux Lascia che pianga. C’est donc l’Edilia de Mélissa Petit qui l’emporte avec une vocalité facile, une diction idéale, un chant d’une louable subtilité.

BB