Chroniques

par bertrand bolognesi

Adriana Fernández et le Rare fruits Concil
sonates, chaconne, concert spirituel, psaume et aria de Buxtehude

Innsbrucker Festwochen der Alten Musik / Spanischer Saal, Schloß Ambras
- 11 août 2011
© dr

Après les délices d’un Flavius Bertaridus en tout point passionnant [lire notre chronique de la veille], c’est à goûter les subtilités de l’art de Dietrich Buxtehude qu’invite le Festival de musique ancienne d’Innsbruck. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, à la suite de Franz Tunder qui les avait initiées, le maître allemand élève au rang de véritable institution les soirées musicales qu’il partage avec la bourgeoisie cultivée de Lübeck où il est en poste. Ce soir, le public ne se blottira point sur les bancs d’un karelofe du Schleswig-Holstein, mais bien plutôt prendra des aises autrement chaleureuses dans la magnifique Salle espagnole du Château d’Ambras, à quelques kilomètres au sud-est du centre-ville. Erigée par Giovanni Luchese environ un siècle avant la conception des pièces que nous y entendrons, cette Spanischer Saal, avec ses fresques et son splendide plafond à caissons, offre un écrin de toute beauté à une musique d’une infinie délicatesse, en sus d’une acoustique généreuse, quoique peu réverbérante, qui avantage particulièrement les sons graves. Elle accueille The Rare Fruits Council, formation dont le mélomane baroqueux apprécie les prestations depuis 1997, et le soprano argentin Adriana Fernández, dans un programme alternant des pièces vocales de natures diverses (du concert spirituel à l’aria en passant par le choral) et des opus ohne Stimme.

Pour commencer, la Sonate en ut majeur BuxWV 266 (pour deux violons, viole de gambe et basse continue)introduit la soirée par un Adagio à l’inflexion exquisément tendre. Dès l’Allegro (et sa magistrale résolution),l’on profite de la précision du gambiste Petr Wagner. De même remarque-t-on la finesse de ton de Luca Guglielmi dans la déambulation quasi recitando qui lie les derniers mouvements dont le final obstiné bénéficie d’une tonicité rafraîchissante. Les autres pages instrumentales de ce concert (dont cette chronique ne suivra plus l’ordre d’exécution) ne jouiront cependant pas toujours d’un même bonheur interprétatif. Si la Sonate en fa majeur BuxWV 269 (pour deux violons, viole de gambe et basse continue) s’avère d’emblée brillante, avec un second violon rivalisant d’élégance avec le premier, son irrésistible duetto viole et violoncelle (basse de violon) – ce dernier étant tenu par Balázs Máté avec grande musicalité – et son entrelacs de couplets gracieusement virtuoses, la Sonate en la majeur BuxWV 263 (pour violon, viole de gambe et clavecin) ne voit guère honoré sa précieuse italianità, malheureusement. La partie de viole glisse, dérape, voire savonne, le violon s’égare à son tour, autant d’incidents qui surviennent paradoxalement dans les passages les moins difficiles. Cela dit, le programme est chargé, lourd, ce qui peut induire un moment de relatif relâchement, peut-être. Le niveau d’interprétation de la Sonate en sol majeur BuxWV 271 (pour deux violons, viole de gambe et basse continue) le donne à penser, avec sa luxueuse péroraison violonistique bien assumée, son Andante suavement respiré et le grand geste de sa Chaconne conclusive.

Du côté des parties chantées, nous abordons plusieurs factures. Ainsi de Singet dem Herrn ein neues Lied BuxWV 98, concert spirituel engagé par une Sinfonia enlevée, articulant trois sections avant le retour de cette ouverture, puis une conclusion vocale. Adriana Fernández semble rencontrer des difficultés avec la couleur allemande de ce répertoire. Son chant bondit dans les passages lestes, mais demeure de marbre lorsque le texte (musical et poétique) demande plus d’intimité. La roucoulade conclusive demeure sagement ornée, sans extravagance. Aria moins élaborée, Schaffe in mir, Gott, ein rein Herz BuxWV 95 révèle une curieuse absence du grave dans cette voix, ce qui est assez surprenant dans une acoustique qui, précisément, le met à l’honneur. Sans doute est-ce là question d’impact. Le soprano se joue toutefois aisément de la virtuosité de cette pièce. Après l’entracte, l’hymne O dulcis Jesu BuxWV 83, dont le compositeur a respecté l’expression latine, accuse un médium souvent incertain. C’est finalement dans la chaconne Herr, wenn ich nur Dich hab BuxWV 38qu’Adriana Fernández révèle son talent, libérant un aigu mordoré. À une assemblée reconnaissante, les artistes offrent en bis un court choral fort serein qui rend méditative sa sortie des jardins d’Ambras.

BB