Chroniques

par françois cavaillès

A midsummer night’s dream | Le songe d’une nuit d’été
opéra de Benjamin Britten

Opéra de Tours
- 13 avril 2018
A midsummer night’s dream, opéra de Benjamin Britten, à Tours
© marie pétry

Il revient enfin au public tourangeau de plonger dans le rêve avec la première en leur ville du possible chef-d’œuvre de Britten à l'opéra, A midsummer night's dream. La belle découverte de cette habile adaptation opératique de la célèbre comédie féérique de Shakespeare est offerte aux spectateurs de tous âges par une production locale sachant donner vie à une musique savante et accessible, dans un univers scénique plein de créativité et de justesse pour que tant de poésie, si bien agencée dans l'esprit du créateur, devienne, sous des habits de fantasme ou de comédie, réalité évidente.

Quiconque y a un peu goûté en conviendra, ne serait-ce qu'en feuilletant quelques pages du barde de Stratford : le génie shakespearien traverse les siècles. Et pourtant, en essayant de transposer ses histoires dans notre monde contemporain, la grande majorité des metteurs en scène se sont cassé les dents – à certaines exceptions près, comme Coriolanus, le film de Ralph Fiennes (2011). Pour sa première incursion à l'opéra, l'homme de théâtre Jacques Vincey (directeur du Centre dramatique national de Tours) y parvient, moins par jeu qu'en respectant avec sincérité l'identité des personnages et le sens des lieux, même imaginaires. Signés Céline Perrigon, les costumes sont très différenciés selon les trois grands ordres d'êtres (ainsi Oberon, roi des fées, ressemble-t-il à un baron de la drogue, Helena, la jeune amante jalouse, à une poupée Barbie). Le principal décor, conçu par Mathieu Lorry-Dupuis, se montre simplement étonnant, mais encore fidèle à l'esprit du livret, en transformant la Terre en un désert recouvert d'un sac-poubelle. Autant ce postulat du grand Songe de Shakespeare, partant de la querelle entre Oberon et son épouse Titania, n'est point négligé, autant le sujet de la discorde conjugale (l'attachement du roi à un petit page) revêt également une importance particulière. Tignasse rousse sur l'uniforme d’écolier anglais, le garçon en question, observateur toujours muet dans ses apparitions fugitives mais redondantes en différents coins de la scène au fil de l'intrigue, témoigne du désarroi des adultes. Il souligne, de plus, le lien puissant et insondable entre l'adulte et l'enfant dans l'œuvre de Britten. Sur ce même thème, si, dans leurs péripéties nocturnes, souvent à la lisière du sommeil, le sang des humains, des dieux et des artisans ne fait qu'un tour, par la force majeure de l'amour, il coagule grâce aux lutins guérisseurs, incarnés avec le merveilleux qui convient par des bambins de la Maîtrise du Conservatoire Francis Poulenc (Tours). Leur jeu vif, leur chant exquis de formules magiques s'insèrent dans tout un équilibre musical, aussi subtil que mouvant, et dans une vitalité rythmique semblant naturelle... jusqu'aux abords du surnaturel. L'Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours s'avère le parfait complément du poète et l’essentiel liant qui rend la soirée éloquente dans une expérience artistique unique, plaisamment instructrice.

En effet, suivre la trame du spectacle, l'émotion des chanteurs (quoique sans air) et la portée du geste lyrique si singulier de Shakespeare et Britten ressemble à une agréable leçon de musique [lire nos chroniques des productions de Nancy, Genève et Metz]. Les protagonistes traversent-ils des rideaux à franges ou un écran de fumée (l'expressivité passe aussi par les sobres lumières de Marie-Christine Soma) que le chef Benjamin Pionnier prend soin de dévoiler les trésors d'orchestration et d'harmonie d'une composition riche et éclairante, au service d’un drame musical maîtrisé avec un certain génie. Ou bien l'on rêve, tout bonnement ? Peut-être bien !... Oui, dans cette série d'épisodes où temps et tempi semblent s'envoler – par exemple, dans l’ellipse orchestrale pour traverser le premier entracte tout en faisant ressentir l'ensorcellement de Titania endormie. La réflexion reste sans issue, aussi force est-il de suivre les rustics (six comédiens d'une pièce ridicule à l'intérieur de la pièce) dans leurs idioties puisqu'elles sont exprimées par une telle intelligence lyrique. Les scènes ahurissantes suivent un fil extra-sensoriel, comme Titania réveillée (certainement ?) au début de l'Acte II, puis réanimée pour vivre une autre parenthèse féérique des plus convaincantes. Ou encore, comme les quatre amants désillusionnés, ré-appariés mais fâchés, donc à nouveau coincés dans leur mécontentement, qui croient retomber amoureux par hasard – par la malice de Puck, farfadet maladroit.

Sublime musique, qui dit tout cela mieux que les mots, avec la générosité de laisser entendre distinctement une voix étincelante, et si aimable, ou la clarté d’un mouvement orchestral, comme jeté vite et simplement à l'auditoire, avec l'évidence d'une roulade ou d'un croquis. Au bout du tunnel lyrique, les diverses voix croisées sous des auspices riants et troublants donnent toute satisfaction. Relevons notamment le contreténor souverain, venu du baroque, de Dmitry Egorov (Oberon), le baryton puissant et délicieux de Ronan Nédélec (Demetrius) [lire nos chroniques du 20 juin 2003 et du 23 octobre 2012], la basse claire et solennelle d'Éric Martin-Bonnet (Quince) [lire nos chroniques de Les rois, Le Roi d’Ys, Così fan tutte, Don Giovanni, Carmen, Tancrède, Philémon et Baucis], l'énergie à revendre et la variété de tons du baryton Marc Scoffoni (Bottom) [lire nos chroniques du 24 février 2012 et du 3 octobre 2015], l'à-propos vocal et le bon sens comique très personnel du ténor Carl Ghazarossian (Flute) [lire nos chroniques d’Idomeneo, Carmen et Les contes d’Hoffmann], ainsi que le magnifique soprano, vif et exact, de Deborah Cachet (Helena), celui fort sensuel de Marie-Bénédicte Souquet (Titania) et le lyrisme expressif et émouvant, d'un timbre superbe, du mezzo Majdouline Zerari (Hermia) [lire nos chroniques du 9 juillet 2013, des 18 mai et 3 novembre 2015, enfin du 29 avril 2016]. Tombe le rideau sous les applaudissements : l'Opéra de Tours a joué avec les bonnes cartes en main – à moins qu'elles ne viennent d'un autre monde…

FC