Chroniques

par bertrand bolognesi

A kékszakállú herceg vára – Zápisník zmizelého
Le château de Barbe-Bleue – Journal d’un disparu

opéra de Béla Bartók et cycle de Leoš Janáček
Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 4 février 2007
Le château de Barbe-Bleue (Bartók) au Palais Garnier
© ruth walz | opéra national de paris

Saluons d’emblée l’excellente idée d’avoir réuni deux ouvrages courts dont les arguments, bien que différents, regardent l’un vers l’autre à plus d’un titre. L’objet de l’amour de Judith est cet autre sur qui plane la rumeur : un Kékszakállú à la cruauté étrangère dans le château duquel le sang avive le désir de la jeune femme avant de l’effrayer. L’objet de l’amour de Yanik est cette autre qu’écartent les préjugés : la tzigane Zefka dont la sensualité étrangère, après avoir fait peur au soupirant, révèle la liberté à la vérité que se donneront les amants, en dépit de l’emprise parentale. À travers ces oppositions, le jeune paysan et la dernière épouse avancent vers l’inconnu et ses dangers, voulant tous deux savoir, parce qu’ils aiment, jusqu’à savoir le pire, peut-être. Et tout aussi touchants s’avèrent le témoignage enflammé de la passion de l’une et l’expression candide de celle de l’un. Enfin, Bartók et Janáček conçurent ces ouvrages dans la même décennie, chacun teintant sa manière de pigments empruntés à des ferments locaux relativement voisins.

Le château de Barbe-Bleue (A kékszakállú herceg vára) réunit deux voix idéalement choisies, en ce qui concerne la couleur et les timbres. Béatrice Uria-Monzon est une Judith scéniquement troublante, d’une expressivité évidente, dont la pâte vocale ensorcelle l’oreille. On regrettera un bas-médium souvent dur et qui sort de l’impact général, comme le peu de nuances d’un chant qui vient parfois contredire le jeu. Bien sûr, ces réserves ne ternissent pas une prestation d’une grande classe. Willard White incarne un Barbe-Bleue d’une inquiétante sobriété, soignant un phrasé des grands jours qui donne toute son autorité au personnage. Le legato opère avec la même onctuosité sur toute l’étendue de la tessiture, le grave est avantageusement sonore, l’aigu raisonnablement nasalisé, autant d’atouts que l’artiste sait mettre au service d’une dynamique sensible et toujours pertinente. Gustav Kuhn, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, livre une interprétation scrupuleuse et soignée dont on remarquera le bel équilibre, mais qui manque cruellement de la tension nécessaire à soutenir ce drame de la découverte. Aussi se surprend-on à écouter l’écho de ce que la fosse vient de dire plutôt que d’entendre intérieurement à l’avance ce qu’elle s’apprête à jouer ; c’est un symptôme qui ne trompe pas.

Journal d’un disparu (Zápisník zmizelého) est écrit pour ténor, mezzo-soprano, chœur résumé à trois voix de femmes et piano. La version originale fut donnée dimanche dernier, au Studio Bastille, dans le cadre des Journées Leoš Janáček qu’y présentait ProQuartet [lire notre chronique du 28 janvier 2007]. S’il existe une transcription pour formation chambriste (Sedláček), Gustav Kuhn a souhaité proposer sa propre adaptation dans le but de faire profiter à l’œuvre des « ressources que m’offrait le grand orchestre de Bartók ». Bien qu’annonçant humblement une ambition qui ne prétend pas réaliser l’orchestration peut-être rêvée par le compositeur, on remarquera que cet ingénieux travail n’omet pas les fanfares de nombreuses pièces du maître.

Depuis une loge d’orchestre, Hye-Youn Lee (soprano), Letitia Singleton (mezzosoprano) et Cornelia Oncioiu (mezzo-soprano) forment un chœur homogène. Sur scène, Hannah Esther Minutillo est une Zefka à l’aigu facile, tandis que Michael König donne un Yanik d’une grande clarté, tout investi dans un chant propre à transmettre les émois contenus dans les vingt-deux poèmes du cycle.

BB