Chroniques

par gilles charlassier

Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski

Malmö Opera
- 16 janvier 2016
Tobias Theorell met en scène Eugène Onéguine de Tchaïkovski à Malmö (Suède)
© malin arnesson | malmö opera

Derrière sa germanique géométrie de façade qui ne saurait rivaliser avec l'aura architecturale du nouvel Opéra de Copenhague dessiné par Henning Larsen et inauguré en 2005, le domicile lyrique de Malmö propose une saison qui ne reste aucunement dans l'ombre de sa voisine danoise, comme en témoigne la nouvelle production d'Eugène Onéguine, étrennée en novembre dernier.

Ce ne sera certes pas par la mise en scène économe de Tobias Theorell que la mémoire retiendra. Sans démériter, les nébulosités en projection vidéographique, dues à Eric Holmberg, tapissent de l'écoulement du temps les parois de l'habile scénographie dessinée par Magdalena Åberg, délimitant, sans enfermer les uns et les autres, la modestie de l'intérieur et du village des Larina, le champ de déshonneur qui verra mourir Lenski, ou encore la salle de réception de Grémine. La composition spatiale met cependant un peu de temps à s'emplir d'une vie autre que le statisme de blés figés. La mobilité réduite des personnages gagne en efficacité sémiologique au fil de la soirée, fidèle en cela aux tableaux que peut suggérer la musique – la restitution du contraste entre l'animation de la foule et les apartés dramatiques en donne un appréciable exemple, agrémenté par la chorégraphie de Christine Meldal.

Les couleurs pastel de ce spectacle honnête sont rehaussées par la direction musicale de Mikhaïl Jurowski. Sous la baguette de l'émérite chef russe [lire nos chroniques du 23 mars 2014, du 22 janvier 2013 et du 13 juin 2011], le Malmö Operaorkester laisse épanouir l'intensité passionnée de la partition de Tchaïkovski. On oubliera les scories augurales des cuivres, tandis que les nuances expressives s'affirment progressivement sur fond de densité sonore un rien monolithique dans les premiers tableaux. Indéniablement, le tempérament slave ne se fait pas prier, et le public non plus, réservant au maestro une ovation debout.

La distribution vocale se révèle souvent au diapason de cette puissance des sentiments. En Tatiana, Maria Fontosh irradie la scène de la lettre, palliant de son incandescence un timbre moins rond que d'aucuns pourraient l’attendre. La complémentarité avec sa sœur Olga, dévolue à Lena Belkina, ne s'en révèle que plus convaincante. Pour rester avec les dames, Emma Lyrén ne démérite aucunement en Larina, quand Maria Streijffert préserve la nostalgie de Filipievna de l'usure où l’on réduit trop souvent la nourrice [lire notre chronique du 12 avril 2012].

Dans le rôle-titre, Vladislav Sulimsky en résume, sans faiblesse, la lâcheté et l'indécision [lire notre chronique 8 septembre 2008]. Le frémissant Lenski de Peter Auty ne se montre peut-être pas l’égal des plus brillants interprètes du poète. Taras Shtonda ne suscite en revanche aucune réserve pour son solide Grémine [lire notre critique du CD Chostakovitch et Glinka]. Mentionnons encore le Zaretski de Bengt Krantz, le Triquet de Jonas Durán et le Malmö Opera Kör, également méritants.

GC