Chroniques

par gilles charlassier

œuvres concertantes françaises pour bois
Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie

Opéra de Rouen
- 22 octobre 2010

C’est un programme audacieux et d’une belle cohérence que Hervé Niquet dirige ce soir à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie. Le concert met à l’honneur la musique française, les instruments à vents et une création.

On commence par le Concerto pour basson, harpe et piano d’André Jolivet, écrit en 1954. Le premier mouvement, Recitativo, est une introduction lente où les chromatismes lancinants des cordes rappellent le lyrisme sombre et intérieur du début du troisième acte de Tristan und Isolde. La progression de l’attente finit par faire éclore l’Allegro giovale, plein de vivacité. Le basson très agile de Marc Trénet chante aux côtés du piano, de la harpe et des premiers violons à la manière d’un concerto grosso baroque. Les deux derniers mouvements sont joués enchaînés, comme les deux premiers, et confirment une dramaturgie bipolaire lent-vif. Le Largo cantabile exhale une atmosphère intemporelle à la mélancolie discrète, avant de laisser place à un Fugato rythmé, conduit de manière impeccable, sans excès, qui conclut une synthèse libre et séduisante de styles divers.

Avec la Symphonie concertante pour hautbois et orchestre à cordes de Jacques Ibert, créé cinq ans plus tôt, on retrouve une structure plus concentrée qui n’est pas sans évoquer César Franck. L’Allegro con moto s’ouvre sur un motif descendant de quatre notes, initié par les violoncelles. Le hautbois répond par un thème ascendant plus souriant et développe ce matériel mélodique simple et austère. Le lyrisme souple de l’instrument soliste, contrastant avec la tension des cordes, est remarquablement mis en valeur par Hélène Devilleneuve. On retrouve cette cohésion et ce resserrement dans l’Adagio ma non troppo et l’Allegro brillante final. C’est toute une tradition française qui s’exprime dans cette circularité formelle et thématique qui donne à la partition des allures de passacaille et dont on peut trouver une expression apparentée dans la Première symphonie qu’écrira huit ans plus tard Henri Dutilleux, pour qui Jolivet était le « chef incontesté de l’école contemporaine ».

Après l’entracte, Pascal Zavaro monte sur la scène pour présenter en quelques mots sa Pastorale pour hautbois, basson et orchestre, commande de l’Opéra de Rouen, présentée ce soir en première mondiale. L’œuvre s’ouvre sur un tremolo évanescent à l’unisson des cordes qui porte l’empreinte mnésique du début du Concerto pour violon de Sibelius. Comme si l’on avait franchi ce rideau liquide de sons, nous entrons, avec le dialogue du hautbois et du basson, dans un refuge musical soutenu par les cordes en pizzicati dont la rumeur va crescendo, dans une sorte de marche à la fois joyeuse et introvertie. Vient alors un épisode plus lent où le solo désolé du basson répond à la progression de l’orchestre dans les graves. Le hautbois énonce une réplique plus lumineuse, avant que son confrère ne le rejoigne. L’ensemble des pupitres prend alors part à un finale virtuose où brille la maîtrise des deux solistes.

Pour conclure ce concert de beautés rares et rigoureuses, c’est avec la Symphonie en ut majeur écrite par un Georges Bizet de dix-sept ans que le public se détend. Cette œuvre plaisante avoue sa dette envers le Beethoven des premières symphonies. Le second mouvement, Adagio, met en valeur un très beau solo de hautbois et rappelle la Marche funèbre de la Troisième symphonie du grand Ludwig à l’invraisemblable crinière. Comme son illustre aîné, le jeune compositeur a introduit une section fuguée, et l’on trouve, à la fin du mouvement, des accents schubertiens, un écho de l’abandon mélancolique de la coda de l’Andante de la Neuvième symphonie en ut majeur. Les cors rendent parfois hommage à Artémis. L’orchestre, avec des instruments à cordes en boyau et archets classiques, montre un sens de la couleur qu’il fait plaisir d’entendre, emmené avec une théâtralité enjouée et une jubilation évidente par Hervé Niquet.

GC