Chroniques

par bertrand bolognesi

...à travers un samedi ethnique...
Victor Aviat, Nikolaz Cadoret, puis Lana Goussarenko

Journées de la harpe, Arles
- 29 octobre 2005
Victor Aviat (hautbois) et Nikolaz Cadoret (harpe) au festival arlésien 2005
© johann delacour

Pour commencer une journée qui peu à peu fera oublier que les Journées de la harpe ont bel et bien lieu en Arles [lire notre chronique de la veille], nous assistons au récital que Victor Aviat et Nikolaz Cadoret donnent en la Chapelle de la Charité, à l'heure du déjeuner. Hautboïste, le premier est lauréat du Concours International de Petritoli (troisième prix), hautbois solo du Gustav Mahler Jugendorchester, membre de la Karajan Akademie (Berliner Philharmoniker). Le second, harpiste, plus connu de nos lecteurs [lire notre entretien de mars 2005] se distingue en juin 2003 au Concours de la Franz Josef Reinl-Stiftung (troisième prix), en juillet 2004 à l'USA International Harp Competition de Bloomington (septième prix) et aux Sommets musicaux de Gstaad (Prix Philippe Chaignat) en mars dernier ; actuellement élève de Catherine Michel à la Hochschule für Musik de Zurich, il présentera son Konzertdiplom en février prochain.

Le concert d’aujourd'hui introduit une sorte de Liederabend par une première partie entièrement consacrée à Debussy, à travers des transcriptions de Susan Jolles et Humbert Lucarelli. Ainsi nous est-il donné d'apprécier le travail de couleurs de la harpe et l'extrême précision de la différentiation des attaques du hautbois, dès le Prélude de la Suite bergamasque, la délicatesse des nuances et la souplesse d'énonciation du discours dans le Menuet où Victor Aviat développe progressivement un lyrisme toujours prudemment dosé. Après la volubilité libérée et partagée des Bruyères, les interprètes entretiennent savamment une sorte de « nimbe flouté » dans Rêverie dont les relais mélodiques s'avèrent bien réalisés, pour finir dans la gracilité de la Deuxième Arabesque. Si tous les ingrédients sont convoqués, le sentiment que l'on garde de ce moment serait peut-être le souhait que les artistes se saisissent moins timidement des textes abordés.

C'est avec une familiarité plus avérée que la harpe chante ensuite Clair de lune de Fauré, dans une exquise suavité qui gagne Chanson d'amour et Après un rêve, plus sensible encore. Avec un legato plus dense, une sonorité générale plus ronde, Nikolaz Cadoret suggère un autre climat pour les deux Lieder empruntés à Schubert. Pour discrète qu'elle soit, la gestion du crescendo de Du bist die Ruh’ (D776) est efficace, tandis que le moelleux des couleurs et la tendresse d'articulation de l'introduction de Nacht und Traüme (D827) – dans un faux-air d'une Consolation de Liszt – entretient un grain nourri à la figure obstinée où le hautbois pose un éternel phrasé. Congé du public est pris avec Traumerei (extrait des Kinderszenen Op.15) et Abendlied de Schumann.

En plus d'un parcours stimulant qui permet une approche diversifiée de la harpe, le festival présente une exposition à l'Espace Van Gogh – Harpes, lyres, luths et cithares du monde –, exposition réunissant deux cent cinquante instruments de la collection constituée avec passion par l'ethnomusicologue et instrumentiste André Gabriel. Altiste, sonneur de cloches, spécialiste de la vie provençale, musicologue explorant de plus en plus la place de la musique et de l'art dans les rituels anciens, André Gabriel s'exprime également au galoubet-tambourin, lou tambourin prouvençau, en d'autres termes, ou encore le « tutu-panpan », tout en partageant une collection précieuse où rouboï, charengo, harpe kwere, rebab, san-xian, mayari, pluriac, cobza et doulcemelle viennent éclairer la connaissance des visiteurs et ouvrir à leurs rêveries des horizons illimités.

C'est ici que se dessine le caractère ethnique de la journée, sous la protection de ces instruments puis dans le concert de cymbalum qu’anime Lana Goussarenko au Museon Arlaten (à l'heure du thé), présenté par André Gabriel qui dresse les portraits croisés du tympanon (cithare trapézoïdale percutée), du piano, du petit cymbalum intimiste, de la doulcemelle ou doucemène, tous ancêtres du pianoforte – si ses marteaux sont recouverts de cuir, ils l'étaient déjà de daim pour les instruments énoncés. Répandu dans le nord et toute l'Europe centrale au Moyen-âge, le cymbalum, que l'on rencontre principalement en Valachie, Hongrie, Biélorussie et Roumanie, instrument intermédiaire entre le psaltérion et la cithare et héritier du premier monocorde de Pythagore, lui aussi percuté, est également présent dans les civilisations orientales, se prolongeant des Balkans vers la Grèce et la Chine. Appelé en arabe kanoun (mot qui donna notre canon, soit la loi), ce médium de culture populaire fixera les règles de l'art. À Budapest, c'est Ferenc Erkel qui fit entrer le cymbalum dans l'orchestre symphonique, en 1861, provoquant une ébullition autour de lui au point de susciter l'écriture et la création de plusieurs concerti pour cymbalum et orchestre, et une facture de cymbalums de concert susceptibles de concurrencer le piano. De nombreux compositeurs hongrois et viennois s'y intéresseront, mais aussi Stravinsky et Ravel. Notons enfin que le premier récital de cymbalum solo fut donné par Aladár Rácz (1886-1958) à Lausanne en 1926.

Lana Goussarenko conduit l'auditoire dans une exploration de l'instrument et de son répertoire, à travers quelques danses de village et danses biélorusses où l'on observe l'usage de techniques différentes, la musicienne pinçant les cordes ou utilisant de petits marteaux que parfois elle retourne afin d’obtenir un mordant plus délicat. Nous entendons ensuite une Sarabande de Bach, un Menuet de Boccherini, une improvisation jazz, une Csárdás et L'horloge d’Evgueni Gladkov, professeur à Minsk à qui l'on doit plusieurs recueils de pièces pour cymbalum.

Ethnique encore...
En soirée, la scène du Méjan est investie par huit jeunes filles en robes noir et rouge, faisant face à Janet Harbison, fondatrice de l’Irish Harp Orchestra. On demeure surpris par l'indigence d'un concert dont on attendait peut-être trop, en tout cas dont on n'imaginait rien du soporifique ahanement scolaire. Le répertoire est certainement intéressant, mais la réalisation n'a rien de professionnel. Il est d'ailleurs symptomatique que l'arrivée d'un peu de danse et des cornemuses – en particulier la rafraîchissante prestation du jeune Ryan Murphy à l'uilleannpipe – vienne exalter cette terne soirée.

BB